Corps, formes, mouvements. Réactions instinctives aux œuvres de Manon Oligny

 
Auteurs
Alexandre Fontaine Rousseau

Quand on m'a demandé si je voulais écrire un texte sur l'oeuvre vidéo de la chorégraphe Manon Oligny, j'ai dans un premier temps douté de ma capacité à le faire : parce que je n'y connais strictement rien à la danse, parce que je ne crois pas avoir le bagage théorique pour en parler de manière éclairée. Bref, je n'étais pas à mon humble avis la « bonne personne » pour accomplir cette tâche. L'idée même me paraissait saugrenue et mon texte, au bout du compte, ne pouvait qu'être élémentaire, voire arriéré, aux yeux de l'expert. Allais-je multiplier les recherches, visionner en un temps record tout Carlos Saura et courir les événements dans l'espoir de saisir ce qui dans cette mystique du corps m'échappe encore?

Puis, je me suis ressaisi - tant bien que mal, mais tout de même. Qu'est-ce que le cinéma, au fond, si ce n'est le mouvement codifié de corps capté par l'objectif de la caméra? Le terme « chorégraphie », depuis longtemps, a pris place dans le vocabulaire utilisé pour discuter du septième art : il sert à décrire les duels de Sergio Leone, les comédies de Keaton et de Chaplin ainsi que les fusillades de John Woo. Si on filme la danse, c'est que l'on veut en faire du cinéma. Enregistrer, tout simplement, n'est pas suffisant. Il faut qu'un rapport se crée entre les deux démarches, que les formes communiquent. J'ai déjà parlé de cinéma. Je peux donc écrire sur la danse à l'écran, même si c'est à travers cette médiation du mouvement.

En écoutant More Is More (2003), mes réticences s'effondrent. Ce qui frappe d'abord, c'est cette proximité qui crée presque l'abstraction : le cadre colle au corps, certes, mais c'est surtout le son qui impose la sensation persistante d'une contiguïté physique totale entre le spectateur et l'objet de son attention. More Is More est épuisant, presque étouffant; comme si la mise en scène aspirait à ce que ces corps à l'écran et le nôtre ne fassent plus qu'un tandis qu'ils multiplient les contorsions. Notre souffle s'accorde à celui des danseurs, ainsi qu'à celui du film qui impose par quelques manipulations temporelles sa propre gestuelle. En la personne de Frédéric Moffet, Oligny trouve un réalisateur capable d'insuffler un sens cinématographique à ses chorégraphies, un complément à sa démarche.

24X Caprices (2002) confirme cette impression que Moffet n'est pas simplement « au service » de la troupe d'Oligny, qu'il cherche dans le mouvement des corps la matière première d'un film à proprement parler. Sa caméra découpe les corps, amplifie l'intensité de leur présence par l'usage du ralenti, s'attarde aux visages des danseuses autant qu'à leurs gestes. Elle ne se contente pas de décrire objectivement un acte chorégraphique. Elle participe au discours, prend position, désirant capter ce mystère de l'érotisme dont fait état la bande son. D'une certaine manière, 24X Caprices est l'histoire d'une caméra qui cherche à découvrir la raison d'être du désir. C'est l'histoire d'un regard, autant que celle d'un corps.

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