La fille pas simple : l’œuvre de Sylvie Laliberté

 
Auteurs
Mathieu Li-Goyette

Dans son L’outil n’est pas toujours un marteau (2000), Sylvie Laliberté résume, d’un seul trait, d’une seule phrase, l’impression générale, l’aura de son œuvre bien singulière : « J’aime la simplicité, mais je ne suis pas une fille simple ». En effet, la vidéaste, chanteuse, écrivaine et femme des arts a plus d’une corde à son arc, et ce, depuis 1985 où elle entreprend ses premières performances. Ce n’est qu’en 1995 qu’elle s’installe derrière la caméra qu’elle ne quittera plus accumulant plus d’un film par année jusqu’en 2011 où son prochain opus se fait toujours attendre. Mais, plus précisément, qu’est-ce qu’un film, qu’un vidéo de Sylvie Laliberté?

C’est d’abord de l’absurde en boîte, une caméra souvent fixe la filmant elle, toujours elle et personne d’autre. Prise de la tête aux pieds, son corps est aussi important que son visage et son cinéma, d’une certaine façon, semble être une réflexion sur cette relation entre l’esprit et le corps, le monde matériel. Tentant de faire dissoudre les liens faciles, Laliberté disjoncte les idées préconçues, les retourne à l’aide d’œuvres parfois inégales, souvent géniales lorsqu’elles tombent dans le lyrisme à peu de moyens dans lequel elle excelle; il faut dire qu’émouvoir, avec son nez en gros plan dans une baignoire, n’est pas chose facile et que son pari d’esthétique du confessionnal pour esprits enfantins, mais délurés réussi plus d’une fois.

Mais ce corps filmé, il ne serait pas aussi important s’il n’y avait pas un constant jeu sur la sexualité qui se déguise derrière une voix d’enfant. Fillette à problèmes, sa poésie est celle d’un corps meurtri par la vie, celle d’un abandon du sérieux aux mains de la prétention qu’elle ne pratique jamais. Comme elle n’aime pas les silences, le montage vient rapidement hacher dans ses plans-séquences et ses paroles. Il précipite dans un univers surexcité où l’animation côtoie la chanson sans jamais, bien qu’elle en ait fait une autre carrière, tomber dans le vidéo-clip. Ce qu’elle débite, c’est à la fois des mots pour dire des mots, des paroles pour nettoyer (presque violement) l’esprit d’arrière-pensées. C’est ensuite une philosophie en constante comédie, une façon pour elle, phoque faisant tourner sur son nez le ballon du prévisible pour ensuite le faire bondir, de chanter ou murmurer à la caméra une détresse toute contemporaine.

Car en-dehors son allure divertissante, un peu sotte, mais toujours réfléchie, Sylvie Laliberté œuvre sans compromis, creuse des pans de l’art vidéo qui ont un côté « home-made » évidemment voulu, un côté « c’est ma voisine » demeurant touchant. Invité au cœur d’une certaine intimité, l’artiste se confie à la caméra, joue des formes du médium, profite du fait qu’en vidéo, on peut à peu près tout faire sans se soucier des moyens de la pellicule, des coûts d’un développement. Telle un Robert Morin viré homme rose, Laliberté rejoint la politique dans son Bien sûr, puis l’absurdité poétique d’Harmony Korine dans Le soleil brille pour tout le monde, mais les hommes préfèrent les blondes, cette troublante sensation, devant le non-sens, d’assister à quelque chose d’en fait très sensé.

Le spectateur peut déjà voir, sur les pages de Vithèque, quelques-uns des nombreux films de la vidéaste (parmi lesquels, son meilleur, L'Outil n'est pas toujours un marteau, constitue une bonne entrée en matière pour le néophyte)." D’abord, Oh la la du narratif, où l’artiste déambule dans la neige, danse, pose au soleil à la recherche d’une attention (donc, d’une narration) qu’elle comble d’une voix hors champ plus sérieuse, créant de la distance entre l’image et le son (comme elle ferait ailleurs une distance entre l’esprit et le corps), défi de chacun de ses vidéos : créer un espace de réflexion à partir de la simplicité, parce qu’en fait, rien n’est si simple.
 

Facebook Twitter