Manon Labrecque: créer à bras-le-corps
Une programme préparé par Manon Labrecque qui réunit, pour une première fois, des vidéos réalisées entre 2005 et 2018 témoignant [parmi d’autres manifestations] des mouvements de l’ensemble de sa démarche et de sa sensibilité artistique.
Texte de Priscilla Guy. Originaire de Sherbrooke (Canada), Priscilla Guy est une artiste multidisciplinaire basée à Montréal, diplômée d’un baccalauréat en arts visuels (Université Concordia) et d’une maîtrise en danse contemporaine (Université York). Elle s’intéresse principalement à la notion de quotidienneté, détournant les gestes et architectures qui l’entourent pour en révéler un sous-texte à la fois poétique et politique.
Liste des œuvres au programme
Manon Labrecque
Un texte de Priscilla Guy
Le travail de Manon Labrecque est une rencontre entre le banal et le grandiose; le corps humain et la machine; l’inutile et l’essentiel. Véritable touche-à-tout, Labrecque échappe aux catégories et aux étiquettes. Adepte du travail fait-main, son rapport à la technologie se déploie dans une esthétique low-tech et autonome, qui engage le corps tout entier. Dans ses œuvres, la vie et la mort se télescopent continuellement de manière éloquente, évoquant tour à tour la valeur de la vie humaine et l’obsolescence programmée des technologies qui peuplent notre vie. D’une esthétique de l’ordinaire, elle fait émerger les couches de sens sous-jacentes au quotidien rangé, notamment à travers diverses techniques de perturbation de l’image. Espiègle, Labrecque s’intéresse à une beauté alternative, celle des ratages, des échecs et des bogues techniques. Son travail de montage-piratage ramène au premier plan la fragilité des matières vidéo. Ainsi, l’artiste se pose en sorcière de l’image : ses habiles détournements techniques offrent à voir des corps-matières et des corps-machines qui portent les marques d’une technologie faillible, tout en dégageant une humanité indéniable mais étrange, voire réinventée.
Dans En-deçà du réel, l’artiste part d’un simple rire pour déployer une fable bouleversante et complexe. Que peut-on trouver dans une fraction de seconde d’un rire? Ici s’exposent par couches superposées des états cathartiques, alors que le rire est interrompu à l’image pour se dévoiler en de multiples petits soubresauts, hoquets et tonalités improbables. De la détresse à l’ennui, le rire de Manon Labrecque apparait sous un nouveau jour grâce à un montage ingénieux. Ancrée dans un rapport viscéral au vivant, l’œuvre invite le public dans un périple où les codes du rire sont sabotés ou exagérés, et où une temporalité surréelle agit avec force sur le corps de l'artiste. La capacité de Labrecque à nous faire bondir d’un espace onirique à un espace humoristique caractérise d’ailleurs plusieurs de ses œuvres. L’image semble posséder une vie bien à elle, avec une respiration haletante caractérisée par des suspensions et des sauts vertigineux, lesquels peuvent nous amener du rire aux larmes. Le vivant se dessine à travers la matière morte, et vice et versa, au fil de simples manipulations techniques appliquées avec une précision obsessive.
Car c’est bien l’une des caractéristiques du travail de Manon Labrecque : une obsessive fascination pour le vivant, renouvelée à travers une mise en valeur de ses manifestations les plus banales. Les corps s’effacent sans disparaître, tandis que l’image s’autodétruit sans se dérober à notre regard. En filigrane, une posture féministe et anticonformiste porte cette démarche artistique sans équivalent. Chercheuse de pépites d’or dans un quotidien sans histoire, Manon Labrecque nous invite à nous regarder avec dérision, bienveillance, curiosité et sensibilité.
Ce programme a été présenté à Dazibao le 29 novembre 2018 dans le cadre des soirées dv_vd.
Image : Manon Labrecque, entrevue (avec une célébrité), 2018