Portrait - Partrice Duhamel

 
Auteurs
Pierre Brault

8 octobre 2008

Salut l’ami,

Maintenant que tu es disparu, j’ai l’impression que je peux te dire tout mon amour et que ton sourire en coin ne me dérangera pas, ni le bleu de ton regard, ni ton calme réfléchi, ni ton silence. Te dire aussi que tu étais pour moi l’ami, l’ami qui savait entendre et qui savait être là, tout simplement là, avec tes peurs, tes espoirs, ta colère, ton humour, ton intelligence et ton imaginaire débridé.

Je me souviens de cette journée de printemps où je débarquai au Vidéographe, pour faire un remplacement qui devait être le temps d’un été et qui dura 5 ans. Tu étais déjà là comme stagiaire. Au premier regard, nous nous sommes reconnus et rapidement, une profonde intimité s’est tissée entre nous. Mais il me fallut d’abord t’apprivoiser, car tu étais plutôt farouche et sur tes gardes, timide intimidant, manquant parfois de compassion avec des jugements tranchants, presque sévères. Je comprends maintenant que le temps te pressait et qu’il te fallait aller à l’essentiel et vite…Attendre pour toi a toujours été un supplice.

En plus de ta pratique, de tes contrats, tu t’es impliqué au Vidéographe et à la galerie Clark comme gestionnaire et comme penseur. Au Vidéographe, tu as été formateur, monteur et membre du comité de coproduction, puis, dans une période plus difficile que le centre traversait, membre du conseil d’administration et plus tard, tu allais en assumer la présidence. Parfois tu regrettais d’investir trop de temps dans ces structures car tu avais l’impression de négliger ta vie et de t’isoler encore un peu plus.

Je me souviens d’avoir vécu un mois chez toi, seul dans tes objets, tes livres et ta musique. C’est là que je t’ai ressenti avec le plus d’acuité. J’ai d’abord remarqué ta magnifique collection de couteaux. Il y en avait partout, bien rangés, côte à côte, des petits, des gros ; Layolle, Norton, Opinel… des lames, des tranchants, des éclats de métal, des armes, des outils, des ustensiles. L’ensemble me confirma un aspect de ton esprit auquel chaque couteau semblait donner un éclairage précis. Je fus saisi par cette métaphore des couteaux et de ton esprit, un esprit éclairé qui savait trancher dans la réalité, détacher le sens de la confusion, découper finement, peler, libérer le contenu des enveloppes que sont souvent les comportements et les conventions. Patrice, tu n’avais pas que cet outil puissant qu’était ton pouvoir d’analyse, tu avais aussi une grande tendresse et une douceur gourmande ainsi qu’une étonnante pulsion de vie que tu tenais absolument à partager. D’ailleurs, une autre de tes collections me révéla cette douceur que tu cachais avec pudeur. Tous ces savons qui s’accumulaient dans ta salle de bain, tellement d’objets odorants, aux formes et aux couleurs diverses, capables de parfumer, d’adoucir, d’apaiser, d’une nature si éphémère et destinée à se dissoudre dans plus grand que soi.

Cher Patrice, tu étais un véritable archiviste, un compilateur inépuisable, toujours prêt à alimenter nos réflexions de livres, de musique et de cinéma. Tu avais l’œil aussi pour les trouvailles ; les cossins qui grincent, les bidules qui crient, les patentes inutiles, tout, absolument tout, pouvait devenir le point de départ d’un nouveau projet, en alimenter un autre ou finir dans un cahier au cas où.

Éternel ramasseur d’humaineries, guénillou du vécu, véritable docteur Freud de la vidéo avec tes essais sur la dysfonction, l’inconfort et l’inconscient. La tête dans nos vidanges, nos secrets, tu étais tellement attiré par nos « dark side ». Le cœur et l’esprit au travail sans relâche, tu as pris ton crayon, ta guitare, ta caméra, tu as observé tout ce qui était autour de toi, tu voulais emplir tous les vides, surtout ceux qui te séparaient de tes amis(es), de tes amours et de toi même…

Ton art te prenait tout, et ton temps et tes nuits, et ton appétit et tes sous. En retard dans tes finances, il y avait toujours ce livre qui devait être lu avant Bell, ce CD entendu avant Visa, cette bière bue et ce vieil orgue que tu avais entrevu chez les Petits Frères des Pauvres.

Depuis quelques années, tu nourrissais une colère sourde contre ton corps, la maladie te menaçait et t’obligeait à ralentir ton rythme. Tu te savais condamné, tu connaissais très bien l’évolution de ton diabète, tu en parlais rarement et si tu le faisais, c’était en terme clair et concis. Lorsque j’ai su qu’il t’avait vaincu, je n’en étais pas tout-à-fait surpris, car ma caméra vidéo s’est arrêtée de fonctionner ce mercredi 24 septembre en vacances aux Îles-de-la-Madeleine, au moment même où je tournais, comme j’aime le faire, une petite brindille d’herbe accrochée à une racine en proie au vent de la mer et aux marées. J’ai eu une pensée pour toi lorsque tout s’est arrêté et devint noir car, cette caméra, c’était la tienne avant que tu me la vendes.

Nous sommes maintenant responsables de ton œuvre qui n’est pas de pierre, ni d’acier mais de papier, de pixels et de musique, mais si juste et nécessaire car tu l’as accouché dans une certaine souffrance, avec beaucoup d’amour et de détermination. Sois confiant, nous saurons l’utiliser pour contaminer ce monde pétri de conformismes.

Salut l’ami, j’attendrai toujours de tes nouvelles car je sais que nous sommes tous reliés au vivant… même mort.

Pierre
 

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