Son propre visage en partage
Avec Son propre visage en partage, la chercheuse et artiste française Lucie Szechter s'interroge sur les enjeux soulevés par le visage dans la pratique de l’autofilmage.
Née à Nantes (France) en 1987, Lucie Szechter a obtenu une Maîtrise en études Cinématographiques à l’Université de Montréal avant d’intégrer le programme doctoral en recherche-création « Art et Sciences de l’art » à l’École de Recherche Graphique (Bruxelles) et l’Université de Liège. Elle a réalisé Plage(s) (2014) et 27 ans (2016).
Liste des œuvres au programme
Qu’est ce que l’autofilmage ?
Par Lucie Szechter
Littéralement Auto : du grec αὐτὸς signifiant « par soi-même » et Filmage : action de filmer. Se filmer soi-même. Le premier dispositif d’autofilmage qui pourrait nous venir en tête est certainement celui d’une caméra au poing retournée vers la personne qui se filme elle-même. Comme c’est le cas pour les « selfies »-vidéos tournées avec un cellulaire. L’entrée dans le champ du bras qui tient l’appareil d’enregistrement est un indice simple à identifier. Le geste associe au sein même du plan les deux fonctions de l’auteur-e de cet enregistrement : la personne filmée est également la personne qui filme, et vice versa.
Qu’en serait-il si l’auteur-e de cette vidéo – ou de ce film – avait posé sa caméra sur un trépied, avait lancé l’enregistrement et s’était assis-e devant l’objectif ? Et qu’en serait-il si l’auteur-e avait demandé à un-e cameraman de le ou la filmer ? Selon la définition qui nous intéresse, il s’agirait bien d’autofilmages. L’autofilmage étant ici compris au sens large : dès lors que la personne qui réalise le film décide d’entrer physiquement dans le champ de son propre film, de Jonathan Caouette (Tarnation…), à Vito Acconci (Theme Song…), à Sylvie Laliberté (Bonbons Bijoux…), à Agnès Varda (Les Glaneurs et la Glaneuse…), à Nanni Moretti (Journal intime…), à Charlie Chaplin (Les Temps modernes…) ou encore tous les caméos – ces apparitions fugaces dont raffolent les cinéphiles – d’Alfred Hitchcock dans ses propres films (L’Inconnu du Nord-Express…). Le spectre de l’autofilmage est très large et nous donnera peut-être une bonne idée de listes à dresser pendant nos longues soirées d’hiver. En soi, le recours à l’autofilmage n’est donc pas cantonné à un genre cinématographique, il n’est qu’un outil parmi d’autres choisis par l’auteur-e pour mettre en scène ses images. Néanmoins, toutes ces apparitions – qu’elles soient de quelques secondes ou de plusieurs heures – ont ceci en commun : elles ne sont jamais anodines. Elles font toujours événement. À des degrés évidemment très différents, dès lors que le spectateur reconnaît la personne du ou de la réalisatrice dans le champ, une dimension réflexive semble inévitablement s’ajouter au personnage qu’il ou elle incarne à l’écran. Certains gestes d’autofilmage peuvent même être clivant et agacer autant qu’émouvoir comme c’est le cas pour ceux de Xavier Dolan, Alain Cavalier ou Maïwenn par exemple.
Ce que je propose est une programmation de plusieurs films où l’auteur-e se met en scène lui/elle-même à l’écran. En composant ce commissariat, je me suis à la fois posé la question du côté de la réception – les spectateurs – et du côté de l’énonciation – les cinéastes. Qu’est-ce que cela me fait à moi, en tant que spectatrice, de savoir que la personne filmée dans le champ est aussi celle qui réalise le film ? Qu’induit par exemple le choix de ne pas avoir pris un acteur pour incarner le personnage que nous voyons à l’écran plutôt que le/la réalisatrice lui/elle-même ? Et, du côté de l’auteur-e, qu’elles pouvaient bien être ses motivations lorsqu’il ou elle a choisi d’investir son film de sa propre présence physique ? Je vous laisse apprécier ces œuvres à l’aune de ces questions. Sachant qu’il y aura bien sûr autant de réponses possibles que de spectatrices et de spectateurs.
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Ce programme a été réalisé lors d'une résidence de recherche et de commissariat de Lucie Szechter à Vidéographe en avril-mai 2018. Il a été présenté à Dazibao dans le cadre des soirées dv_vd le 23 mai 2018.
Image : Owen Eric Wood, Self Portrait, 2004.