VIdéoH / HIVideo : (autres) réponses culturelles. Le VHI/sida et la vidéo à Montréal (1984-1990)

Resumé

Les essais de ce dossier constituent des versions remaniées des communications que Vincent Bonin et Conal McStravick ont livrées lors d’une table ronde et d’une projection d’œuvres vidéo à la Cinémathèque québécoise, le 1er août 2022. McStravick a répondu à A Journal of the Plague Year (After Daniel Defoe) (1984) du vidéaste et théoricien britannique Stuart Marshall (1949-1993). Bonin a répondu à Le récit d’A (1990) de la cinéaste québécoise Esther Valiquette (1962-1994). Pour accompagner la 24ème Conférence Internationale sur le SIDA, Vidéographe a mis en ligne un programme vidéo exceptionnel d'œuvres de la collection sélectionnée pour Vithèque par les co-commissaires Vincent Bonin et Conal McStravick. Vous pouvez le trouver ici : https://vitheque.com/fr/programmations/videoh-hivideo

Authors
Vincent Bonin, Conal McStravick

Vincent Bonin est un auteur et commissaire. Il vit et travaille à Montréal. Ses essais ont été publiés, entre autres, par Canadian Art (Toronto), Fillip (Vancouver), le Centre André Chastel (Paris) le Musée d’art contemporain de Montréal, la Vancouver Art Gallery et Sternberg Press (Berlin).
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Conal McStravick est un artiste queer, non-binaire, chercheur indépendant, programmeur de l'image en mouvement et également un écrivain baser à Londres (Grand Bretagne). Depuis 2012, McStravick travaille avec les archives d'artistes britanniques, de réalisateur·ice·s et l'activiste Stuart Marshall (1949-1993).

VIdéoH / HIVideo : (autres) réponses culturelles: le VHI/sida et la video à Montreal (1984-1990)


Les essais de ce dossier constituent des versions remaniées des communications que Vincent Bonin et Conal McStravick ont livrées lors d’une table ronde et d’une projection d’œuvres vidéo à la Cinémathèque québécoise, le 1er août 2022. McStravick a répondu à Journal of the Plague Year (After Daniel Defoe) (1984) du vidéaste et théoricien britannique Stuart Marshall (1949-1993). Bonin a répondu à Le récit d’A (1990) de la cinéaste québécoise Esther Valiquette (1962-1994). La conversation entre les conférenciers et la discussion avec le public a été modérée par la chercheuse Maria Nengeh Mensah de l’Université du Québec. Il est dommage de ne pas pouvoir restituer ici toute la richesse des échanges qui ont alors eu lieu, et nous profitons de cette occasion pour remercier Nengeh Mensah de sa contribution exceptionnelle au projet. Nous remercions également Karine Boulanger, qui nous a invité lorsqu’elle était conservatrice de la collection de Vidéographe, et Sarah Boucher, qui a agi comme conservatrice par intérim pendant l’organisation de l’événement au cours de la préparation de ce dossier.

Depuis plusieurs années, McStravick effectue des recherches et il écrit sur la pratique de Stuart Marshall. L’œuvre discutée ici, Journal of the Plague Years, met en parallèle deux moments : l’un contemporain, en 1984, et l’autre historique. Par le truchement de vignettes vidéo, le spectateur oscille entre la montée de l’homophobie dans les journaux jaunes au début de la crise du VIH/SIDA à Londres et l’émergence de la sexologie comme discipline à l’orée du 20e siècle en Allemagne, interrompue par la persécution des homosexuels pendant le 3e Reich. McStravick a choisi de se pencher sur l’installation pour la table ronde et le dossier, car sa présentation inaugurale a eu lieu à Montréal lors de Vidéo 84, un événement important d’art vidéo international. McStravick la situe au sein de l'ensemble du corpus de Marshall et il met l'accent sur la trajectoire canadienne du vidéaste, de Montréal à Vancouver, en passant par Toronto. De plus, il souligne comment Marshall a contribué à la constitution d’un discours critique sur le VIH/SIDA, dont la complexité reste toujours d’actualité.

Vincent Bonin a été invité par Vidéographe à écrire un texte sur Le récit d’A. Ce documentaire expérimental est composé d’images d’un séjour de Valiquette en Californie, montées avec un enregistrement de la voix d’Andrew Small, un homme gai de San Francisco qui était ouvertement séropositif depuis le début des années 1980. La polysémie de ces témoignages intriqués dans Le récit d’A a fait en sorte que, plus tard, les commissaires ont pu situer l’œuvre au sein de multiples configurations thématiques, souvent sans commune mesure, du programme vidéo. Bonin fournit une analyse de la réception de Le récit d’A en se penchant particulièrement sur l’histoire des premières expositions sur le VIH/sida à Montréal dans laquelle l’œuvre a été présentée. Il fait usage de la chronologie étendue des projections de Le récit d’A de 1994 (année de la disparition de l’artiste) et 2022, afin de discuter du concept de la fonction auteur posthume et de la circulation contemporaine d’énoncés de personnes séropositives faits pendant les années 1990.

Bien que Marshal et Valiquette semblaient avoir peu en commun, en dehors de la séropositivité et d’exercer  d’une profession de vidéastes, nous avons relevé des chevauchements entre leurs pratiques. Par exemple, les dates des diffusions inaugurales des œuvres, séparées d’un intervalle de 6 ans, les inscrivent dans une narration d’événements – qui reste à écrire – afférente à l'art et au militantisme contre le VIH/SIDA à Montréal. Les années 1980 ont été un moment d’abandon pour les personnes vivant avec la maladie. En 1984, lorsque l’installation Journal of the Plague Years a été conçue, il y avait encore peu d’activisme. La proposition de Marshall pourrait donc constituer la première œuvre sur le VIH/SIDA présentée au cours d’une grande manifestation en art contemporain à Montréal. La monobande Le récit d’A, quant à elle, inaugure une prise de parole au Québec (un « coming out » selon Thomas Waugh) des femmes séropositives.

En s’enchaînant, nos communications ont tendu une perche entre deux décennies de la crise, séparée par la rupture épistémologique qu’a opérée la Cinquième conférence sur le sida, tenue à Montréal en 1989. De chasse gardée de médecins-chercheurs, elle est devenue un point de ralliement des activistes en Amérique du Nord. Elle a donné lieu à un soulèvement mené par ACT-UP (New York), AIDS ACTION NOW (Toronto) et RÉACTION SIDA (Montréal) afin de dénoncer l’apathie politique et de donner un nouveau rôle réformateur aux patients dans les protocoles de recherche. Le programme de la rencontre disposait également d’un volet culturel, SIDART, organisé par Ken Morrison, avec, entre autres, une sélection d’œuvres vidéo. Le militantisme du début des années 1990, dans l’après-coup de la conférence, a permis à des artistes tels que Marshall et Valiquette de gagner en visibilité, et a conféré une plus grande marge de manœuvre à des groupes comme le chapitre d’Act-Up montréalais. L’anthologie A Leap in the Dark, publiée en 1992, sous forme de retombée de SIDART par Morrison et Allan Klusaček, offre une autre découpe de cette période à Montréal. Le livre, réédité récemment, fait référence à Marshall, mais il néglige Valiquette, qui a répondu indirectement à SIDART sans y participer, bien que sa propre trajectoire s’enchevêtre avec celle de Marshall, et produit des échos bien au-delà de cette conjoncture d’événements, pendant les trois décennies subséquentes. Le récit d’A, ainsi que tout le corpus de Valiquette ont souvent été retranchés dans le registre du poétique, par contraste avec l’approche analytique de Marshall et la forme plus prosaïque d’autres pratiques vidéo émergeant au même moment aux États-Unis, au Royaume-Unis et au Canada anglophone.

La convergence et la divergence au sein d’un discours autour du VIH/SIDA se trouvent également reflétées par le contenu des collections des distributeurs de ces œuvres, LUX, à Londres, et Vidéographe, à Montréal. Leurs catalogues comportent chacun une constellation de propositions issues de contextes culturels distincts, qui entrent néanmoins en résonance avec les expériences et les luttes de plusieurs personnes séropositives. Lorsque ces actes de langage localisés sont rapprochés les uns des autres, comme ce fut le cas pendant la table ronde et maintenant dans ce dossier, elles dessinent les contours d’une plus vaste archive.

Le titre ce dossier, VIdéoH / HIVideo : (autres) réponses culturelles: le VHI/sida et la video à Montreal (1984-1990), crée une situation qui permet au lecteur de prendre connaissance simultanément de Journal of the Plague Year de Marshall, exposé pour la première fois en 1984, et de Le récit d’A de Valiquette, dont la projection inaugurale remonte à 1990. Nous explorons ces « débuts » et les chronologies de ces œuvres autour du VIH/sida à travers différents contextes, sans négliger notre présent queer. Bien que plusieurs occurrences inattendues d’analyse croisée s’esquissent ici, les propositions de Marshall et de Valiquette doivent toutefois demeurer des objets critiques et historiques distincts. Par ailleurs, nous suggérons qu’un autre site discursif rend cette méthode comparative possible, par l’énoncé de notre sous-titre « (autres) réponses culturelles ». Il agit, lui-même, comme un rappel de l’intitulé « autres réponses culturelles » du programme de vidéo activiste, de performances et d’objets intermédia au sein de l’événement de Ken Morrison SIDART (qui comprenait, par ailleurs, la projection d’une œuvre de Marshall, Bright Eyes (1984)). Cette nomenclature avait déjà été proposée par Douglas Crimp et ses alliés lorsqu’ils avaient suggéré l’activisme culturel en réponse au sida pendant cette période charnière.

En 1983, Marshall a voyagé aux États-Unis et au Canada afin d’entamer des recherches en vue de réaliser un documentaire militant pour la chaine britannique Channel 4 autour des représentations pathologiques et homophobes du sida comme la « peste gaie ». Au fil de cette trajectoire, dont la retombée fut Brigh Eyes, il a d’abord pris connaissance des idées de l’activiste de la libération gaie Michael Lynch à Toronto, puis de l’évangélisme du sécurisexe de Michael Callen, Richard Berkowitz et Joseph Sonnabend à New York. L’un des segments de Brigh Eyes consiste en une reconstitution dramatique d’un fait divers relatant l’épisode de violence homophobe subie par un homme gai séropositif de San Francisco lorsqu’un technicien a refusé de le toucher pour installer un micro au cours d’une entrevue à la télé. En 1989, après s’être remise d’une maladie causée par le virus du sida, Esther Valiquette est allée en quête de voix communautaires à San Francisco pour comprendre son expérience de femme séropositive et elle a réalisé plusieurs entretiens, en retenant au montage celui d’Andrew Small. Comme secrétaire juridique, Small avait été victime, lors d’un procès, d’un ostracisme semblable à l’exclusion de son ami Paul Castro, le militant qui apparait sous le couvert de la fiction et de l’anonymat sur le plateau de télé de Bright Eyes. Les jurés souhaitaient que Small sorte de la pièce. L’histoire de cet activiste, déjà présent sur plusieurs tribunes médiatiques à San Francisco, est alors devenue la trame de Le récit d’A.

Vincent Bonin et Conal McStravick

Il est possible de consulter sur Vithèque un programme d’œuvres autour du VIH/sida dans la collection de Vidéographe, assemblé par Vincent Bonin et Conal McStravick :

https://vitheque.com/fr/programmations/videoh-hivideo

Revoir Le récit d’A 

Vincent Bonin

 

À quel moment ai-je rencontré le corpus d’Esther Valiquette? J’étais encore trop jeune pour avoir pu assister aux projections en salle de Le singe bleu (1992) et, dans les années 2000, la diffusion de son travail s’est raréfiée. Il est très probable que le souvenir de Valiquette comme artiste, et personne ayant vécu avec le sida, ait été formé sans avoir vu ses œuvres par la lecture d’un texte de 1993 de Jean-Claude Marineau, publié dans la revue Parachute[1]. Beaucoup plus tard, j’ai pu visionner Le récit d’A lorsque la collection de Vidéographe a été mise en ligne sur la plateforme Vithèque.

On trouve là une notice qui se compose d’un bref énoncé d’intention de l’artiste (en fait des phrases tirées d’un entretien dans le journal Le Devoir en 1991), ainsi que de l’extrait d’un essai de la critique Nicole Gingras[2]. Tout au bas de la page, à proximité de ces fragments de textes apparaissent les mots-clefs « essai », « récit », « sida », « désert », « poésie » et « jeunesse ». En lançant une requête dans le moteur de recherche avec l’un de ces termes, « sida », une liste hétéroclite d’œuvres de la collection s’ajoute à Le récit d’A, autour de ce seul dénominateur commun de la maladie. Sans même l’adjonction d’un commentaire, une charpente d’histoire se dessine, fantôme, entre ces propositions qui ont été regroupées. Les dates de leur réalisation indiquent à quel moment de la crise elles ont été produites, avant ou après 1996, l’année charnière de l’homologation des traitements antirétroviraux devenus, dès lors, accessibles dans certaines parties du monde.

Valiquette est disparue en 1994, et n’a pas légué d’archives. Même le fonds Vidéographe contient peu de documents qui permettraient d’élucider le contexte de production de Le récit d’A. L’énoncé de la proposition de projet, qu’elle a dû envoyer avant de recevoir l’aval afin de réaliser l’œuvre, est manquant. Je me suis dès lors rabattu sur les textes de la fortune critique (articles dans les journaux, essais) et à quelques témoignages d’individus qui l’avaient côtoyée pour écrire ce texte. J’ai trouvé un rare entretien de 1992 entre Valiquette et Claudio Zanchettin, où elle évoque les circonstances de sa venue à la réalisation :

« Je suis une femme de trente ans. Je travaillais comme technicienne dans le milieu du cinéma jusqu'à il y a quatre ans en 1989. J'avais fait un baccalauréat en arts visuels et ensuite des stages à l'ONF où j'ai fini par travailler comme assistante à la caméra. J'ai été formée à l'ONF et dans le privé et mon but c'était de faire de l'image : je voulais faire de la direction photo. Je travaillais donc comme aide-éclairagiste, pour me familiariser avec les techniques. On a tous notre purgatoire à faire avant de diriger une équipe! J'ai interrompu cette carrière parce que la maladie s'est déclarée très sévèrement. Je travaillais à ce moment-là sur un film de Tahani Rached, Le chic resto pop. Je me suis arrêtée et me suis posé de sérieuses questions sur ce que j'allais faire. J'appartiens à un milieu de travail très ouvert et qui a été très solidaire de ce qui m'arrivait. Mes amis ont fait une collecte et grâce au système d'assurance du syndicat des techniciens du cinéma, j'ai eu un an de salaire. J'avais donc une certaine mobilité et quand ma santé s'est rétablie un petit peu, je suis partie en Californie, à San Francisco. J'ai apporté avec moi une caméra super 8 et un magnétophone. Je voulais faire un pèlerinage pour moi-même dans le désert, mais, dans un premier temps, je voulais rencontrer des gens qui avaient survécu au SIDA. On m'avait dit (c'était au moment du Congrès de 89) que certains […][3]. »

L’entretien s’interrompt inexplicablement à cet endroit, lorsque Valiquette évoque la conférence internationale sur le sida à Montréal en 1989, qui est devenue par la suite un jalon au sein d’une chronologie de l’activisme de la lutte contre la maladie. L’événement inaugural – une chasse gardée de médecins et de politiciens – a été pris d’assaut par les personnes séropositives elles-mêmes. Les membres d’ACT UP de New York, AIDS ACTION NOW de Toronto et RÉACTION SIDA de Montréal ont ensuite publié un manifeste en demandant, entre autres, que les patients puissent avoir voix au chapitre au cours de la mise à l’essai de nouveaux traitements[4].

On ne saura jamais quel effet la conférence a eu sur la trajectoire de Valiquette. La chercheuse Chantal Nadeau, qui a été très proche de la vidéaste, restitue, en ces mots, le premier état du projet de Le récit d’A :

« Valiquette avait en tête de produire une étude ethnologique en interviewant des hommes “gais” de la Californie qui étaient encore en vie après qu’on eût diagnostiqué leur séropositivité plusieurs années auparavant. Elle a réalisé plus de 30 entrevues […][5]. »

Cependant, au montage, Valiquette a retenu exclusivement le témoignage d’Andrew Small, un secrétaire juridique qui travaillait au sein de nombreux organismes communautaires de San Francisco. Un article du Washington Post de 1988 le mentionne en décrivant le quartier gai Castro, transformé de fond en comble depuis le début de la crise[6]. Small apparait également dans le reportage télévisé Struggling with AIDS réalisé par le journaliste Randy Shilts pour la chaine de San Francisco KQED en décembre 1989[7]. Il relate alors un épisode traumatique de stigmatisation homophobe que plusieurs hommes gais ont pu vivre au cours de cette période : en juin 1983, pendant un procès, les membres du jury ont refusé de se trouver à ses côtés. Dans Le récit d’A, Valiquette a créé un espace de transfert pour que la parole de Small puisse advenir sans qu’il ait à évoquer de nouveau cette violence.

Plusieurs vidéos de réalisateurs séronégatifs des années 1980 relayent les mots d’une personne séropositive. Citons, entre autres, la bande Danny (1987) de Stashu Kybartas, dont la structure, passant des questions du vidéaste aux réponses du protagoniste, se rapproche de Le récit d’A. Il faut noter que pendant cette période, la stigmatisation homophobe exacerbée par l’épidémie reposait d’abord sur l’apparition des taches épidermiques du sarcome de Kaposi, (un cancer). Kybartas fait défiler des photographies de son sujet marqué au visage de ces insignes, tandis qu’il livre un témoignage en voix hors-champ. Valiquette reprend une stratégie analogue de déphasage de la trame sonore et de l’image, mais, contrairement à Kybartas, elle se cantonne aux seules voix, en occultant les visages, le sien et celui de Small. Ce parti-pris aniconique découlait-il d’une contrainte technique (elle n’avait à sa disposition qu’un magnétophone et une caméra super 8 lors de son voyage) ou d’un choix délibéré, bien que la représentation de Small ait été médiatisée?

Le récit d’A s’adresse avant tout à d’autres personnes séropositives. Au moment de livrer cet entretien, Small avait déjà cumulé 7 ans de VIH et de sida. Il décrit une période pendant laquelle le profil de la maladie n’avait pas encore été complètement circonscrit. Or, contrairement aux autrices et artistes que l’on associe au genre de l’autopatographie (Audre Lorde, Jo Spence, Hannah Wilke), Valiquette a renversé le regard de la clinique, mais elle s’est gardée de retourner le mode d’énonciation et l’appareil photographique vers son propre corps ou celui de Small. Elle a surtout manipulé des retombées visuelles impersonnelles de son dossier médical. L’un de ces gestes a consisté à superposer au cadre du balayage de la surface vidéographique la mire d’un examen en tomographie (résonance magnétique) de son cerveau. La trame sonore qui accompagne les images est faite alors de bruits s’apparentant au roulement du mécanisme d’un scanographe. Ces représentations en principe uniquement lisibles par des spécialistes sont néanmoins chargées d’affect pour celui ou celle qui se trouve devant cette figuration de lui-même. Chantal Nadeau postule que ces visualisations médicales récurrentes chez Valiquette (qui, dans sa seconde œuvre, Le singe bleu (1992), comprennent une modélisation microscopique du virus, et des tableaux infographiques montrant la chute des cellules T4), remplaceraient le corps séropositif. Or, au sein de cette opération de dissociation des voix et de la visibilité des sujets, les corps ne sont pourtant pas complètement en retrait. Dans Le récit d’A, la représentation d’un homme nu apparait, de façon épisodique, au milieu d’un espace blanc, qui ressemble à un studio d’incrustation (« chroma key »). L’absence d’identification de ce modèle (le critique et peintre Marcel Saint-Pierre) a produit au fil du temps de la méconnaissance, car certains ont cru qu’il s’agissait de Small. Par ailleurs, rien n’est précisé à cet effet dans la bande ou ailleurs. Cet être abandonné devient le substrat sur lequel sont superposés les scannographies du cerveau, les sous-titres et, ultimement, des fragments de textes tirés de Le livre des marges (1987) d’Edmond Jabès. Défilant de bas en haut de l’écran, et parfois lues à haute voix, ces citations de Jabès évoquent, entre autres, le concept de blancheur, qui désigne alternativement une surface sans trace, un degré zéro de l’écriture, un commencement et une fin. L’auteur juif égyptien s’est placé en porte-à-faux entre l’injonction de ne pas parler pour le témoin et le devoir de transgresser cette limite. La page non marquée et le désert sont devenus, pour lui, des figures d’un vide que le langage ne comble pas. En augmentant cette logique aporétique dans le tissu instable du signal vidéo, Valiquette fait s’alterner ces textes de Jabès avec des vues de Death Valley en Californie, « le plus jeune désert de la planète » (ses mots), afin de rendre tangible la déperdition ontologique de la maladie.

En 1992, Valiquette a laissé de côté la forme dialogique qui s’était déclinée de façon si complexe dans Le récit d’A. Son propos s’éloignera également des luttes LGBTQ que la voix d’Andrew Small distillait. Dans sa deuxième œuvre, Le singe bleu, réalisée en 1992 pour l’Office national du film, Valiquette a montré sa chambre d’hôpital vide, encore une fois occultant le corps, et, au cours d’un voyage en Grèce, elle a capté les ruines de la civilisation minoenne, anéantie lors de l’éruption d’un volcan sur l’ile de Santorin en 1600 avant J-C. Au fil de sa narration en voix hors champ, oscillant entre les pronoms « tu » et « je », elle compare l’avancée inexorable du sida décimant les populations à la destruction humaine accidentelle après une catastrophe naturelle. La figure du singe bleu, aperçue sur l’une des fresques minoennes, devient l’autre, et, aussi, la personne séropositive. En 1993, Valiquette a livré sa dernière œuvre, Extenderis (produite par Vidéographe), laissant en suspens son témoignage et mettant au premier plan les images scientifiques qui apparaissaient de façon sporadique au sein de Le récit d’A et Le singe bleu. Dans une structure chorale proche du psaume apocalyptique, elle y a monté des fragments de films d’archives en noir et blanc d’événements politiques au 20e siècle ou de catastrophes naturelles jouxtés à un matériau infographique imitant la spirale du code de l’ADN. Ce langage annoncerait, pour elle, la relève d’une trace vivante, au-delà de l’anthropomorphisme, après la finitude du corps. Or, à un moment charnière, Valiquette s’inscrit comme sujet au milieu de ces abstractions, sans leur donner toute la place. Son visage apparait derrière un microscope, l’œil scrutant un échantillon de son sang, en tentant de prendre du recul et d’observer ce virus indifférent à elle. Malgré ce qui les sépare, les trois œuvres ressassent une ambivalence fondamentale à l’égard des régimes de visibilité définissant alors la personne séropositive.

Le récit d’A dans sa forme elle-même – récursive et rétroactive – annoncerait les conditions de sa réception posthume par les allées et venues que l’œuvre opère entre différentes temporalités de la perception de la maladie. Très souvent, Small convoque des circonstances où il a dû trouver des mots justes pour décrire ses propres symptômes qui survenaient de manière inopinée. Au moment où elle a rencontré ses interlocuteurs de San Francisco afin de comprendre comment ils avaient survécu, Valiquette, pour sa part, se situait au début d’une bifurcation irréversible du virus. Lorsqu’elle demande à Small pourquoi il est toujours vivant, celui-ci ne donne pas de réponse, sans savoir lui-même, et en disant plutôt qu’au cours de ces 7 années, l’équivalent de toute une existence a défilé devant lui. La bande se conclut avec une lueur d’espoir, mais il n’empêche que la finitude reste l’horizon, et ultimement, l’œuvre devra se montrer sans la parole de l’artiste pour l’accompagner.

Étendant la portée de la théorie de Roland Barthes sur la mort de l’auteur à l’ère du sida, Ross Chambers postule que certains cinéastes et écrivains séropositifs ont pensé d’emblée le mode d’adresse pour qu’un discours autour du corpus puisse être reconduit en leur absence[8]. Laura U. Marks compare, quant à elle, la matérialité « tactile » de la vidéo, à la vulnérabilité des corps disparus qui y sont représentés[9]. En contrepartie, de l’autre côté du spectre de cette temporalité de la courte trajectoire, au début plutôt qu’à la fin, une narration de l’inaugural (voire du « patient zéro ») semble toujours s’imposer au-devant de la fortune critique de Le récit d’A. La bande articulerait ainsi l’une des rares déclarations de séropositivité d’une femme passant par le médium vidéo au tout début des années 1990. Comme précédents, mentionnons le film, Liars and Women: Activists Say No To Cosmo (1988) de la réalisatrice américaine Jean Carlomusto (séronégative), dénonçant l’affirmation erronée du psychiatre Robert E. Gould à l’effet que les femmes seraient en général moins hors de danger de contracter le VIH[10]. Au Québec, un an avant la première diffusion de Le récit d’A, Le sida au féminin (1989), un documentaire de Lise Bonenfant et de Marie Fortin (toutes deux séronégatives), avait donné la parole à des femmes vivant avec le VIH/sida, non sans verser dans une certaine forme de sensationnalisme.

L’acte de langage de Valiquette où elle déclare sa séropositivité (un « coming out » selon Thomas Waugh), aurait également eu l’effet du bris d’un silence de plusieurs années dans le champ de l’art montréalais (à ce sujet, voir la fin de ce texte)[11]. Paradoxalement, cette rupture ne s’est pas arrimée aux premières analyses de la crise en tant qu’« épidémie de la représentation », menées au Canada anglais après la conférence de 1989. Je vais me pencher maintenant sur la réception de la bande entre 1990 et 1992, dans et hors du périmètre du discours théorique presque monolingue sur le VIH/sida au sein de ce champ.

En 1990, Le récit d’A été projetée au Cinéma Parallèle, avec d’autres bandes distribuées par Vidéographe, puis il a été à l’affiche au festival Image & Nation gaie et lesbienne. En 1991, la vidéo a remporté le prix du public lors de Silence elles tournent. La même année, la bande a été diffusée en périphérie de l’événement interdisciplinaire Revoir le sida organisé par Allan Klusaček et René Lavoie à la maison de la culture Frontenac. Klusaček et Lavoie avaient assemblé des œuvres issues de l’exposition britannique Ecstatic Antibodies, ainsi qu’un échantillon de productions québécoises[12]. Ils étaient membres de Diffusion gaie et lesbienne du Québec, la structure portante du festival Image & Nation depuis 1988.

La 5e conférence sur le sida de 1989 a été accompagnée d’un « programme culturel », intitulé SIDART, en partie didactique, sous le commissariat de Ken Morrison En 1992, avec Klusaček, Morrison a  dirigé l’anthologie A Leap in the Dark, un livre unilingue anglophone, compilant des essais d’auteurs canadiens, américains et britanniques[13]. L’œuvre d’Esther Valiquette n’est pas mentionnée dans l’ouvrage, tandis que les vidéos de John Greyson, Gregg Bordowitz et plusieurs autres font l’objet d’exégèses. Lors d’un entretien avec Daniel Carrière publié par Le Devoir en 1992, Valiquette souligne qu’il a été difficile de diffuser Le récit d’A sans le message sur la prévention, l’un des critères afin que les propositions artistiques autour du VIH/sida puissent disposer d’une efficacité politique[14]. En contrepartie, et je la cite, « les groupes communautaires qui trouvent que ce type de document n’existe pas en assez grand nombre se sont intéressés à la bande[15]. »

Thomas Waugh a tenté d’élucider le problème de la réception déficitaire de Le récit d’A hors du Québec francophone. Selon lui, l’une des raisons pour laquelle l’œuvre n’a pas pu s’insérer dans un discours critique sur le VIH/sida (par exemple, celui de Morrison et de Klusaček), serait, entre autres, l’absence de sous-titres en anglais :

« La magnifique œuvre de Valiquette avait le désavantage de se décliner en français et en anglais en même temps, et ainsi, de rester presque inaccessible dans les deux langues, tout en étant un peu trop littéraire pour les goûts des anglophones, puis [elle était] à la fois daté[e] à cause de son innocence politique, et en avance sur son temps en confrontant la métaphysique et les iconographies de la mutabilité du corps[16]. »

On pourrait dire cependant que l’œuvre, dans sa forme originale encore trop « opaque », et presque déjà saturée de mots, souligne constamment la traductibilité et les transferts culturels (entre le français et l’anglais, Montréal et San Francisco). Le commentaire de Waugh reconduit également une certaine perception des pratiques artistiques québécoises pendant les années 1990 qui seraient endiguées par la surconscience de la langue et du registre du poétique (les « goûts littéraires » de Valiquette), tandis qu’au même moment leurs contreparties anglophones passeraient à l’acte, en saisissant l’urgence du réel[17]. La vidéo serait donc, pour Waugh, à la fois décalée par rapport à l’histoire qui était en train de s’écrire et annoncerait un avenir de la plasticité du corps sur lequel, en retour, il ne s’attarde pas. En voulant réhabiliter l’œuvre, il la place ainsi dans une impasse de la communicabilité, une espèce d’aphasie. Vidéographe a récemment sous-titré Le récit d’A, et la projection de la bande lors de l’événement VIdéoH / HIVideo : (autres) réponses culturelles. Le VHI/sida et la vidéo à Montréal (1984-1990) a constitué la première occurrence de sa diffusion bilingue officielle.

Afin de situer ce phénomène de migration des énoncés, mais cette fois à rebours (le mouvement d’une proposition militante de New York parachutée au Québec), faisons un aparté et convoquons brièvement l’échec de la dissémination d’affiches de Gran Fury à Montréal en 1992. Le projet, intitulé Je me souviens, a été commandé par le Musée d’art contemporain de Montréal dans le cadre de son exposition inaugurale Pour la suite du monde lors de l’ouverture du nouveau site sur la rue Sainte-Catherine. Cet événement précède de quelques mois l’acquisition de Le Récit d’A par l’institution. Comme l’une des branches d’ACT UP, Gran Fury avait façonné une certaine image de l’activisme en réalisant plusieurs interventions in situ, sur des bannières publicitaires, des autobus et dans des magazines. À Montréal, le collectif a produit une affiche qui superposait le drapeau américain et le fleurdelisé afin de générer un objet visuel hybride auquel s’ajoutaient la maxime « je me souviens », des statistiques sur le nombre de morts du sida aux États-Unis et un message de prévention. En détournant cet énoncé qui apparait sur les plaques d’immatriculation des véhicules au Québec, Gran Fury souhaitait inciter la population à ne pas tomber dans l’indifférence, en reproduisant ainsi l’écueil américain de la « gestion » de la crise. Rétrospectivement, les membres du collectif ont jugé que l’intervention avait loupé sa cible, car le public québécois y avait surtout perçu la présence spectrale du projet de souveraineté du Québec, aux dépens de son véritable contenu[18]. Cette intervention arrivait donc, cette fois, vraiment en retard, comme si l’immobilisme politique avait régné à Montréal depuis la conférence de 1989.

Le conservateur Réal Lussier du Musée d’art contemporain présentera Le récit d’A en tant que réponse « locale » lors du point de chute montréalais de l’exposition en tournée From Media to Metaphor: Art about AIDS, organisée par Robert Atkins et Thomas Sokolowski sous la houlette de Curators International, de New York. L’échantillon d’artistes comprenait plusieurs figures connues et consacrées, dont, de nouveau, Gran Fury, puis General Idea, Felix Gonzalez-Torres, Keith Haring, Robert Mapplethorpe et David Wojnarowicz, entre autres. Cette exposition réunissait surtout des propositions américaines en voie d’être canonisées, et certaines d’entre elles, par exemple les clichés sensationnalistes de Nicolas Nixon, avaient été l’objet de vives critiques auparavant aux États-Unis[19]. Le récit d’A a été présenté en boucle à proximité du cycle/livre photographique Living and Dying with Aids de Mark Leslie (1992) et de la bande vidéo de 1991 Les autres/women and AIDS d’Anne Golden. Dans sa série, Leslie fait la chronique de sa vie quotidienne avec le sida en jouxtant un texte manuscrit détaillé, presque de l’ordre de l’anamnèse médicale, et des autoportraits. Les autres/women with AIDS constitue l’un des premiers documents réalisés au Québec sur la prévention s’adressant surtout aux femmes. Contrairement à Lise Bonenfant et à Marie Fortin qui, dans Le sida au féminin, avaient donné la parole aux femmes séropositives, Golden a réuni des entretiens – en français et en anglais – avec des interlocutrices séronégatives alliées. Certain.e.s se présentaient comme des collaborateur.rice.s – l’artiste Charline Boudreau, le commissaire et auteur Allan Klusaček – et d’autres étaient issus de groupes communautaires, telles que les intervenantes haïtiennes de GAP-sida. À la suite de l’acquisition de Le récit d’A après cette exposition, il faudra attendre 1994, l’année de la disparition de Valiquette, pour que le musée y projette de nouveau l’œuvre lors d’un événement extérieur co-organisé avec la compagnie d’opéra Chants libres pendant l’été, sur la grande place de la rue Sainte-Catherine.

Au fil de sa trajectoire posthume, Le récit d’A sera présenté avec d’autres bandes qui, par leur proximité, créeront des constellations thématiques plus ou moins éloignées du propos de Valiquette. Dans certains programmes, l'œuvre est mise de l’avant pour ses qualités formelles, tandis qu’à d’autres moments la voix de Small prend le dessus, aux dépens de celle de Valiquette, la vidéo devenant plutôt un documentaire sur l’homosexualité et le sida au début des années 1990. Plus rarement, Le récit d’A apparait à proximité de propositions d’artistes femmes et, encore plus rarement, de témoignages de femmes séropositives[20].

Du vivant de Valiquette, la fortune critique de son travail s’est cantonnée, à quelques exceptions, aux articles de journaux. Dans un essai de 1996, déjà cité ici, Chantal Nadeau offre une réflexion très complexe et incontournable sur l’œuvre de Valiquette. Par ailleurs, elle privilégie surtout Le singe bleu, en situant plutôt Le récit d’A comme une première tentative, inaboutie, de prise de parole[21].

L’article sera également publié en anglais en 2000[22]. De 1994 à 2014, Nadeau a été professeure à l’Université Concordia et, dès 1994, elle a donné, en alternance avec Thomas Waugh, le cours HIV/AIDS: Cultural, Social, Scientific Aspects of the Pandemic. Elle a alors ajouté le corpus de Valiquette aux œuvres vidéo anglophones autour du VIH/sida, déjà canonisées, qui étaient à l’étude. Dans sa thèse de 2000, Maria Nengeh Mensas, également engagée au sein de ce groupe de chercheur.e.s de l’Université Concordia, situe Le récit d’A à un moment charnière de son analyse exhaustive du traitement médiatique québécois de la crise pendant la première portion des années 1990 et, parallèlement, d’une prise de parole en français des femmes québécoises séropositives[23]. En 2008, un autre groupe de recherche dirigé par Nengeh Mensah a colligé des témoignages (déjà en circulation) de personnes séropositives au Québec. Une compilation d’extraits de bandes vidéo, d’émissions de télévision et de documentaires, rassemblées autour de différentes périodes, a été réalisée. Le récit d’A y figure cependant dans son entièreté.

Le récit d’A et Extenderis sont distribués par Vidéographe, qui est devenu aussi, depuis 1994, le dépositaire des droits pour ces œuvres faute d’exécuteurs testamentaires. L’Office national du film diffuse, quant à elle, Le singe Bleu.

L’ajout de bandes autour du VIH/sida à la collection de Vidéographe s’est arrêté à la fin des années 1990. Il y a eu depuis, effectivement, un essoufflement du militantisme et de la production d’œuvres par des artistes séropositifs, mais en se limitant à ce constat de la rareté des témoignages contemporains, nous figeons le virus dans une capsule temporelle, tandis qu’il continue de frapper. En 2013, l’artiste Vincent Chevalier a réalisé, avec Ian Bradley-Perrin, une affiche intitulée Your Nostalgia is Killing Me, qui désigne bien un fétichisme des années 1980 et 1990, selon eux, une « gentrification » de la mémoire aux effets délétères. On y voit dans une chambre d’adolescent un collage des réponses des artistes et des médias à la crise, les justes comme les pires, qui, une fois extraites de leurs contextes en tant que seuls traits stylistiques, se sont vidés de sens[24]. Dans un entretien donné à Visual AIDS en 2013, Chevalier dit que ce ressassement des tropes culturels de cette période empêche de penser d’autres formes du discours sur l’épidémie[25]

En 2014, le commissaire José Da Silva a présenté Le récit d’A à la Gallery of Modern Art, à Brisbane, avec des courts-métrages et des bandes vidéo emblématiques des années 1980, 1990 et 2000, en citant comme intitulé de son programme le titre de l’œuvre de Chevalier[26]. Valiquette était désormais placée, pour la première fois depuis 1990, dans une chronologie internationale de la vidéo autour du VHI/sida (côtoyant Chevalier, Mike Holbloom, Tom Kalin, Rosa von Praunheim, Marlon Riggs, David Wojnarowicz, Phil Zwickler, entre autres).

L’histoire de l’essor des pratiques vidéographiques et filmiques sur le VIH/sida au Québec a été également écrite hors du Canada. En 2016, Andrew Gordon Bailey a déposé sa thèse de doctorat à l’University of Leeds, qui offre, à ce jour, la seule recension exhaustive de la production filmique et vidéo au Québec autour de l’épidémie pendant la période avant l’accès aux thérapies antirétrovirales[27]. Le récit d’A y fait l’objet d’une longue analyse. Dans une communication de 2021, Elliot Evans, de l’University of Birmingham, a mis en parallèle les œuvres d’Esther Valiquette et La pudeur ou l’impudeur (1992) d’Hervé Guibert, afin de souligner la spécificité des contextes culturels francophones (québécois et français) dans lequel s’est articulé un « langage visuel » du VIH/sida[28]. La conversation que je poursuis avec Conal McStravick fait dévier une fois de plus le cours de la réception de Le récit d’A hors des frontières nationales, et aussi de l’hégémonie anglo-américaine du discours. 

Après la présentation à la Cinémathèque, nous avons tenté, au cours de nombreuses discussions, de définir plus précisément le point de convergence entre les œuvres de Stuart Marshall et de Valiquette, au-delà de nos textes respectifs. Certains rapprochements procédaient de parallèles inusités, comme ceux qui, parfois, justifient la cohabitation d’énoncés sans commune mesure dans un programme seulement en vertu d’un trait formel partagé. McStravick a souligner que le début de Le récit d’A, avec les scènes du tramway à San Francisco, fait étrangement écho aux plans-séquences de The Streets Of.., une vidéo tournée par Marshall dans la même ville en 1979. La ressemblance reste de l’ordre du hasard (il est très peu probable que Valiquette ait vu cette vidéo). Or, si l’on visionnait ces œuvres l’une à la suite de l’autre, elles montreraient deux moments dans l’histoire de San Francisco : les années 1970, puis la fin des années 1980, lorsque la population gaie du quartier Castro a été décimée, et que Valiquette y est allée pour rencontrer des « survivants », comme elle le disait. Ensuite, les rapprochements entre Journal of the Plague Year (After Daniel Defoe) et Le récit d’A reposent plus directement sur l'observation que leurs expositions inaugurales respectives, avec cinq années d’intervalle, s’inscrivent au sein d’une chronologie sur le VIH/sida tel qu’il a été reconnu tardivement dans le champ de l’art montréalais. L’installation de Marshall présentée lors de Vidéo 84, serait la première œuvre recensée autour de l’épidémie vue à Montréal, tandis que la bande de Valiquette, en retour, aurait brisé ledit « silence » des artistes québécois depuis le début des années 1980, moment où le virus a été identifié. 

À la galerie Optica en 1984, Journal of the Plague Years (After Daniel Defoe) était composée d’une série de cinq petits moniteurs encastrés dans les murs, au sein d’une structure qui évoquait, sans la reproduire, les isoloirs d’une salle de toilette. Deux moniteurs faisaient défiler des extraits d’un journal filmique de 1979 et de 1984 (les dates sont inscrites au bas de l’écran), en ramenant en plan-séquence des locus de la vie quotidienne de Marshall (son bureau, son lit, avec le corps de son compagnon), mais aussi des pages de journaux jaunes britanniques couvrant le début de la crise du sida de manière sensationnaliste et homophobe. Un troisième moniteur diffusait des segments tournés dans différents lieux en Allemagne, en évoquant, de façon métonymique (encore une fois, par des dates au bas de l’écran), la persécution des homosexuels pendant le troisième Reich. Sur les murs se trouvaient des graffitis et des citations de sources documentaires utilisées par Marshall, qui donnaient des bribes de contexte, un peu à la manière de légendes sous des photographies.

Nous avons discuté, McStravick et moi, de l’absence de bande-son de Journal of the Plague Year (After Daniel Defoe) entrant en résonance avec le silence des années 1980, que Valiquette aurait rompu. L’historien de l’art et critique gai René Payant, organisateur d’un colloque lors de Vidéo 84 sur le thème de la description, a rédigé un texte autour des installations exposées, en se cantonnant strictement à une analyse formelle de l’œuvre de Marshall[29]. Payant est décédé du sida en 1987, sans jamais s’être exprimé publiquement sur le virus. La même année que la disparition de Payant, l’intervention de Avram Finkelstein, Brian Howard, Oliver Johnston, Charles Kreloff et Chris Li (plus tard Gran Fury) mettant sur le même plan le silence sur le VIH/sida et la mort (Silence = death), avec le triangle rose, constituait un geste nécessaire, et reste toujours aujourd’hui le slogan pour solidariser les personnes séropositives et leurs allié.e.s. Or, comme l’a indiqué Lee Edelman, confondre la difficulté d’articuler le dire vrai à l’évitement d’un passage à l’acte relève d’une méprise[30]. Entre vouloir parler et pouvoir le faire, une marge s’est souvent imposée, que certain.e.s n’allaient pas franchir au milieu des années 1980, sous peine d’être encore plus exposés à l’homophobie et à la mort sociale, avant celle du corps.

J’aime imaginer que s’il avait vécu jusqu’en 1990, Payant aurait peut-être vu Le récit d’A et reconnu les voix de Valiquette et de Small comme porteuses d’une expérience tissée à la sienne…

Il faut quelquefois esquisser ces fictions spéculatives improbables, lorsque les archives manquent et que nous sommes, comme ici, devant une béance. Pour ce faire, des auteur.e.s, des artistes, qui ne se sont jamais rencontré.e.s, peuvent « dialoguer » dans l’espace posthume par ces programmes vidéo, ces textes que l’on écrit malgré tout (en s’exposant au risque de parler, trop ou pas suffisamment, à la place de l’absent.e).

Conal et moi plaçons déjà Le récit d’A en conversation avec d’autres œuvres (par exemple celles de Sandra Lahire), et la liste ci-dessous, qui recense les projections de la bande de 1990 à 2022, ne ferme pas la parenthèse.

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du 6 au 9 décembre 1990, Cinéma Parallèle, Montréal.

Le récit d’A a été présenté avec Ilandsis de René Roberge (1990) et Soi sage, ô ma douleur (et tiens-toi plus tranquille) de Charles Guibert et Serge Murphy (1990), dans le cadre d’un programme d’œuvres réalisées pendant l’année 1990 et coproduites par Vidéographe.

Image & Nation gaie et lesbienne : Festival international de cinéma et de vidéo de Montréal, 1990, Goethe Institut, Montréal.

Silence, elles tournent, du 5 au 15 juin 1991. Esther Valiquette a gagné le prix du public pour Le récit d’A.

Revoir le sida, maison de la culture Frontenac, 20 juin 1991.Le récit d’A a été présenté en périphérie de cet événement multidisciplinaire organisé par Diffusion gaie et lesbienne (René Lavoie et Allan Klusaček).

Daniel Carrière, « Démystifier le mal », Le Devoir (21 juin 1991), p. B-7. Article sur Le récit d’A.

Paul Cauchon, « Voir le sida au-delà des barrières psychologiques », Le devoir (14 juin 1991), p. B1, B2. Article sur l’événement Revoir le sida.

Vidéoparc, 21 août 1991, Théâtre de Verdure du parc Lafontaine.

Le récit d’A a été présenté dans le cadre d’un programme d’œuvres vidéographiques d’artistes femmes assemblée par Anne Golden et Cecil Castelluci pour le Groupe Intervention Vidéo (GIV).

Daniel Carrière, « Un vidéoparc féministe au Théâtre de Verdure », Le Devoir (19 août 1991), p. B12.

From Media to Metaphor: Art about AIDS, exposition organisée en 1991 par les commissaires Robert Atkins et Thomas Sokolowski pour l’Independent Curators Incorporated à New York et présentée au Musée d’art contemporain de Montréal, du 29 octobre 1992 au 3 janvier 1993.

Le volet local de l’exposition, coordonné par le conservateur Réal Lussier, comprenait une sélection d’œuvres d’artistes montréalais : Le récit d’A, Les autres/Women and AIDS/HIV d’Anne Golden (1991) et le livre photographique Dying with AIDS/living with AIDS de Mark Leslie (1992).

du 3 au 6 décembre 1992, Cinéma parallèle, Montréal.

Le récit d’A a été présenté avec Sehnsucht nach Sodom, de Hanno Baeth (1989) dans le cadre d’un programme organisé par Vidéographe. L’œuvre de Hanno Baeth se trouve également au sein de la collection de Vidéographe.

Daniel Carrière, « Le courage du désespoir », Le Devoir (3 décembre 1992), p. B-4.

Stan Shatenstein, « Vision of a tragedy : Esther Valiquette uses her artist's eye to explore a deadly disease », The Gazette (1er mars 1993), p. F-3.

Beyond Loss: Two Voices, Out on Screen, Vancouver 6th Annual Lesbian and Gay Film Festival, 24 juillet 1994, Video Inn, Vancouver.

Le récit d’A a été présenté avec Cancer in Two Voices de Lucy Massie Phoenix (1994) dans ce programme assemblé par Maureen Bradley. 6 août 1994.

Le récit d’A a été diffusé à TV5, à minuit, dans le cadre d’une émission consacrée à l’art vidéo intitulée Kaléidoscope.

Téléguide progrès dimanche, semaine du 31 juillet 1994.

Ô Arts Électroniques !, du 30 août au 3 septembre 1994, Musée d’art contemporain, Montréal.

Le récit d’A a été présenté dans le cadre d’un programme de plusieurs œuvres vidéo québécoises, canadiennes et internationales issues de la collection du Musée. Il a été projeté à l’extérieur, sur la place publique devant la rue Sainte-Catherine. L’événement a été co-organisé par la compagnie d’opéra Chants libres.

Christine Ross, « Conflictus in Video », Parachute, nº 78 (avril, mai, juin 1995), p. 20-27.

Esther Valiquette est décédée le 8 septembre 1994.

Marie-Michèle Cron, « Une journée sans art », Le Devoir (1er décembre 1994). p. B10.

Dispersions identitaires : vidéogrammes récents du Québec = Identity Dispersions: Recent Videos from Quebec, Art Gallery of Ontario = Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto, du 25 janvier au 26 mars 1995.

Le récit d’A a été présenté dans le cadre d’une exposition d’œuvres vidéo québécoises organisée par Christine Ross. Catalogue.

Chantal Nadeau, « Esthétique scientifique et autobiographie dans l’œuvre d’Esther Valiquette », Protée, vol. 24, nº 2 (automne 1996), p. 35-43.

Reconfigured Histories, Remembered Pasts, du 6 novembre au 19 décembre 1997, Galerie du Centre des arts Saidye Bronfman, Montréal.

Dans cette exposition organisée par Robert W.G. Lee, Le récit d’A a été présenté avec des œuvres de Stephen Andrews, Michael Balser, Charline Boudreau, Andy Fabo, Anne Golden et Regan Morris. Le catalogue comprend des textes du commissaire et de Chantal Nadeau.

Bernard Lamarche, « Art et sida », Le Devoir (13-14 décembre 1997), p. B12.

Espaces intérieurs : Le corps, la langue, les mots, la peau, du 20 avril au 10 juin 1999, Passage de Retz, Paris.

Le récit d’A a été présenté dans le cadre d’une exposition d’œuvres québécoises organisée par Louise Déry et Nicole Gingras lors du Printemps du Québec en France. Catalogue.

Maria Nengeh Mensah, Anatomie du visible. Connaître les femmes séropositives au moyen des médias, thèse présentée au Department of Communication Studies, Université Concordia, février 2000.

En 2001, Le récit d’A a été présenté avec Comment vs dirais-je de Louis Dionne (1995) dans le cadre d’un programme intitulé « Séropositivité », assemblé par Vidéographe, et diffusé en format coffret DVD.

Jean-Philippe Gravel, « Compilation du Vidéographe : créer comme on respire », Ciné-Bulles, vol. 19, nº 3 (été 2001), p. 48-50.

Thomas Waugh, The Romance of Transgression in Canada: Queering Sexualities Nations Cinemas, Montréal, Kingston, McGill-Queens University Press, 2006.

VIHsibilité, a day-long conference on AIDS, testimony and the media, 11 décembre 2009, Université du Québec, Montréal. Le récit d’A a été présenté avec Letter from Home de Mike Holbloom (1996), dans le cadre d’un programme en périphérie de cette conférence.

Fictions limites, Instants vidéo numériques et poétiques, du 7 au 17 novembre 2013, Friche de belle de mai, Marseille.

Le récit d’A a été présenté dans le cadre de ce programme d’œuvres vidéo du Québec assemblé par Claudie Lévesque et Fabrice Montal. Catalogue.

Your Nostalgia is Killing Me, Gallery of Modern Art, Brisbane, du 26 novembre au 1er décembre 2014, Gallery of Modern Art, Brisbane.

Le récit d’A a été présenté dans le cadre de ce programme d’œuvres filmiques et vidéo sur le VIH/SIDA, de 1985 à 2014, assemblé par José Da Silva de l’Australian Cinémathèque.

Voir la page Web suivante pour une liste des œuvres :

https://www.qagoma.qld.gov.au/cinema/program/your-nostalgia-is-killing-me

Chantal Dupont, du 19 février au 18 avril 2015, Dazibao, Montréal.

Le récit d’A a été présenté lors de ce programme d’œuvres d’artistes dont les pratiques étaient liées thématiquement ou formellement au travail de la vidéaste Chantal Dupont.

Voir la page Web suivante pour une liste des œuvres :

https://dazibao.art/exposition-chantal-dupont

En 2015, Le récit d’A a été intégré à une compilation sur DVD intitulé VIHsibilité (1985-2000), assemblée par le groupe Culture du témoignage (Gabriel Giroux, Maria Nengeh Mensah et Thomas Haig).

La compilation permet d’accéder à des témoignages de personnes séropositives tels qu’ils ont été diffusés dans des émissions de télévision, des films et des vidéos entre 1985 et 2000, au Québec.

Gabriel Giroux, Maria Nengeh Mensah et Thomas Haig, Rapport d’activités de recherche sur les archives du groupe Cultures du témoignage, 2015.

Andrew Gordon Baley, The Representation of HIV/AIDS in Québec Cinema, 1986-1996. Thèse de doctorat soumise à la School of Languages, Cultures and Societies, The University of Leeds, en 2016.

Queer Autocinema from Québec: From the Sexual Revolution to AIDS, 15 juin 2017, Theatre de la Queen Mary University of London, Londres. Le récit d’A a été présenté avec À tout prendre de Claude Jutra (1963) dans le cadre d’un programme assemblé par Jordan Arsenault, de Mediaqueer.

Produit du terroir : vidéos de femmes et vidéos queer de 1990, Rencontres internationales du documentaire de Montréal, 11 novembre 2018, Cinémathèque québécoise, Montréal.

Le récit d’A a été présenté avec Prowling by Night – from Five Feminist Minutes de Gwendolyn & Co, Bodies in Trouble de Marusya Bociurkiw (1990), Exposure de Michelle Mohabeer (1990), We’re Here, We’re Queer, We’re Fabulous de Maureen Bradley et Danielle Comeau (1990) et AnOther Love Story de Debbie Douglas et Gabrielle Micallef (1990), dans le cadre d’un programme assemblé par Jordan Arsenault, de Mediaqueer.

Fine Local Product: Women-made + Queer Shorts from 1990, Inside Out, Ottawa LGBT film festival, 12 novembre 2018, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

Il s’agit du même programme que le précédent.

Son propre visage en partage, 23 mai 2018, Dazibao, Montréal.

Le récit d’A a été présenté dans le cadre de ce programme vidéo sur le thème de la visagéité, assemblé par Lucie Szechter pour Dazibao, en collaboration avec Vidéographe.

Voir la page Web suivante pour une liste des œuvres :

https://vitheque.com/fr/programmations/son-propre-visage-en-partage

Les vidéographes : Le gai savoir, 25 novembre 2021, Cinémathèque québécoise

Le récit d’A a été présenté dans le cadre de ce programme assemblé par Luc Bourdon à partir du catalogue de la collection de Vidéographe.

Voir la page Web suivante pour une liste des œuvres :

https://www.videographe.org/activite/les-videographes-a-la-cinematheque-quebecoise/

Elliot Evans, The Visual Language of HIV/AIDS: Considering the Films of Hervé Guibert (France) and Esther Valiquette (Québec), 3 mars 2021. Communication donnée à la Faculty of Arts and Humanities, King’s College, Londres. Voir la page Web de l’événement : https://www.kcl.ac.uk/events/the-visual-language-of-hivaids-considering-the-films-of-herve-guibert-france-and-esther-valiquette-quebec

Cristina Robu, La mise en récit du corps malade de l’autre dans la littérature et le cinéma québécois contemporains : matière à (d)écrire, thèse de doctorat soumise au Department of French and Italian, Indiana University, en août 2022.

VIdéoH / HIVideo (Autres) réponses culturelles : le VHI/sida et la vidéo à Montréal (1984-1990), 1er août 2022, Cinémathèque québécoise, Montréal.

Le récit d’A a été présenté dans le cadre de ce programme et d’une table ronde. Vincent Bonin a répondu à Le récit d’A et Conal McStravick a répondu à The Journal of the Plague Year (after Daniel Defoe) de Stuart Marshall (1984). La discussion a été modérée par Maria Nengeh Mensah.

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Notes :

[1] Jean-Claude Marineau, « Le singe bleu d’Esther Valiquette », Parachute, nº 69 (janvier, février, mars 1993), p. 40.

[2] Daniel Carrière, « Démystifier le mal », Le Devoir (21 juin 1991), p. B-7.

[3] Claudio Zanchettin, « L’accident vital, entrevue avec Esther Valiquette », vers 1993, site Web personnel de l’auteur : http://www.trempet.it/Conjonctures/Parauteur/claudiozanchettin.htm.

(consulté le 10 septembre 2022). L’entretien peut être téléchargé en format PDF à cette adresse, mais il demeure incomplet.

[4] Plusieurs documents publiés par ACT UP, AIDS ACTION NOW et RÉACTION SIDA, dont le manifeste de Montréal, sont disponibles sur le site Web AIDS Activist Project :

https://aidsactivisthistory.omeka.net

(consulté le 19 septembre 2022). Sur l’impact de la conférence bien au-delà de 1989, voir Gabriel Girard et Alexandre Klein, « Les leçons de la conférence sur le sida de 1989 », Le Devoir, 5 juin 2009.

Accessible en ligne : https://www.ledevoir.com/opinion/idees/555984/sante-les-lecons-de-la-conference-de-montreal-de-1989-sur-le-sida

(consulté le 19 septembre 2022).

[5] Chantal Nadeau, « Esthétique scientifique et autobiographie dans l’œuvre d’Esther Valiquette », Protée, vol. 24, nº 2 (automne 1996), p. 35-43.

[6] Sandra G. Boodman, « AIDS survivors beating the odds », The Washington Post (8 février 1988). Disponible sur le site Web du Washington Post :

https://www.washingtonpost.com/archive/politics/1988/02/08/aids-survivors-beating-the-odds/52948ed7-66de-43a9-8ff3-7208372376f3/ (consulté le 19 septembre 2022).

Sandra G. Boodman, « After 7 years, San Francisco learned to live with AIDS », The Washington Post (7 avril 1988). Disponible sur le site Web du Washington Post :

https://www.washingtonpost.com/archive/politics/1988/04/07/after-7-years-san-francisco-has-learned-to-live-with-aids/b7cd2590-d9b4-46ac-a085-3c3a246a7ef6/ (consulté le 19 septembre 2022).

[7] KQED special report, réalisé par Randy Shilts, diffusé le 14 décembre 1989. Disponible sur le site Web de la Bay Area Television Archive :

https://diva.sfsu.edu/collections/sfbatv/bundles/190109 (consulté le 19 septembre 2022).

[8] Ross Chambers, Facing it: AIDS Diaries and the Death of the Author, The University of Michigan Press, Ann Arbor, 1998.

[9] Laura U. Marks, « Loving a Disappearing Image », Cinémas: revue d'études cinématographiques / Cinémas: Journal of Film Studies, vol. 8, nos 1-2 (1997), p. 93-111.

[10] Sur ce documentaire, voir Paula A. Treichler, « Beyond Cosmo : AIDS, Identity and Inscriptions of Gender », Camera Obscura, vol. 10, nº 28 (1992), p. 20-77.

[11] Thomas Waugh, The Romance of Transgression in Canada: Queering Sexualities Nations Cinemas, Montréal, Kingston, McGill-Queens University Press, 2006, p. 284.

[12] J’ai d’abord pris connaissance de l’existence de Revoir le sida en visionnant la bande de la vidéaste Anne Golden, Les autres/Women and AIDS, de 1991, qui en fait état par le truchement d’un entretien avec Klusaček. J’ai ensuite trouvé la recension de Paul Cauchon, « Voir le sida au-delà des barrières psychologiques », Le Devoir (14 juin 1991), p. B1, B2. Je n’ai pas pu localiser la liste des artistes québécois qui avaient présenté leur travail lors de l’exposition, à l’exception de Valiquette.

[13] A Leap in the Dark : AIDS, Art and Contemporary Cultures, sous la direction d’Allan Klusaček et de Ken Morisson, Véhicule Press, Artexte, Montréal, 1992.

L’ouvrage est désormais accessible en PDF sur le site Web d’Artexte. Voir :

https://e-artexte.ca/id/eprint/6455/1/Leap_in_the_Dark_complete2022.pdf

(consulté le 19 septembre 2022).

[14] Daniel Carrière, « Démystifier le mal », Le Devoir (21 juin 1991), p. B-7.

[15] Ibid.

[16] Thomas Waugh, op. cit., p. 308. [Notre traduction.]

[17] Au cours des années 1990, l’historienne de l’art Johanne Lamoureux a beaucoup écrit sur le renforcement de ce clivage linguistique et culturel dans le champ des arts visuels au Canada. Voir : Seeing in Tongues: A Narrative of Language and Visual Arts in Quebec/Le bout de la langue. Les arts visuels et la langue au Québec, Morris and Helen Belkin Art Gallery, Vancouver, 1996.

[18] Voir Jack Lowe, It Was Vulgar & It Was Beautiful: How AIDS Activists Used Art to Fight a Pandemic, New York, Bold Type Books, 2022. Il décrit cet échec du projet de Gran Fury à la page 355.

[19] Voir la recension d’Anne Whitelaw, « Exhibiting AIDS », Parachute, nº 73 (janvier, février, mars 1994), p. 53-55.

[20] Ce fut le cas cependant lors de Beyond Loss : Two Voices, Out on Screen, Vancouver 6th annual Lesbian and Gay film festival, 24 juillet 1994, Video Inn, Vancouver. Le récit d’A a été présenté avec Cancer in Two Voices de Lucy Massie Phoenix (1994) dans ce programme assemblé par Maureen Bradley.

[21] Chantal Nadeau, « Esthétique scientifique et autobiographie dans l’œuvre d’Esther Valiquette », op., cit., p. 39.

[22] Chantal Nadeau, « Blue(s) Valiquette: AIDS, Autobiography, and Arty Science in the Works of Esther Valiquette », Lonergan Review, vol. 6 (2000), p. 216-237.

[23] Maria Nengeh Mensah, Anatomie du visible. Connaître les femmes séropositives au moyen des médias, thèse présentée au Department of Communication Studies, Université Concordia, février 2000.

[24] Voir la page du site Web de Visual AIDS consacrée à l’affiche, accompagnée d’un manifeste :

https://postervirus.tumblr.com/post/67569099579/your-nostalgia-is-killing-me-vincent-chevalier (consulté le 19 septembre 2022).

[25] « As we canonize certain producers of culture, we are closing space for a complication of narratives », Visual AIDS, 10 décembre 2013.

https://visualaids.org/blog/as-we-canonize-certain-producers-of-culture-we-are-closing-space-for-a-comp (consulté le 19 septembre 2022).

[26] Your Nostalgia is Killing Me, Gallery of Modern Art, Brisbane, du 26 novembre au 1er décembre 2014.

[27] Andrew Gordon Baley, The Representation of HIV/AIDS in Québec Cinema, 1986-1996. Thèse de doctorat soumise à la School of Languages, Cultures and Societies, The University of Leeds, en 2016.

[28] Il s’agit de la communication « The Visual Language of HIV/AIDS: Considering the Films of Hervé Guibert (France) and Esther Valiquette (Québec) », donnée en ligne le 3 mars 2021, depuis la Faculty of Humanities du King’s College, de Londres. Voir : https://www.kcl.ac.uk/events/the-visual-language-of-hivaids-considering-the-films-of-herve-guibert-france-and-esther-valiquette-quebec

[29] « René Payant, « Sites de complexité », dans Vidéo, sous la direction de René Payant, Montréal, Éditions Artexte, 1984, p. 127-131.

[30] Lee Edelman, « The Plague of Discourse, Politics, Litterary Theory and “AIDS” », dans Homographesis : Essays in Gay Literary and Cultural Theory, New York, Routledge, 1994, p. 79-91. Edelman pose la question suivante autour du présupposé que la parole et le simple énoncé des faits sur la maladie serait, de facto, performatif et thérapeutique : « Quel discours cet appel au disours peut-il désirer? Quel est le discours de la protection [« defense »] apte à immuniser le corps politique gai contre les infections opportunistes de la rhétorique démagogique? », p. 88 [Notre traduction.]

Sida et vidéo à Montréal (1984-1990) Journal of the Plague Year (After Daniel Defoe), 1984 par Stuart Marshall

Conal McStravick

Journal of the Plague Year (After Daniel Defoe), 1984 - (Le journal de l’année de la peste {d'après Daniel Defoe}) fait partie d'une série d'œuvres vidéo militantes très influentes réalisées par l'artiste britannique Stuart Marshall, qui était aussi activiste, écrivain, éducateur, commissaire d’exposition et organisateur pour la communauté des arts et du sida en Grande-Bretagne. Né en 1949 à Manchester, en Angleterre, Marshall est décédé en 1993, à Londres, des suites d'une maladie liée au sida .[1]

Journal fut exposé à Montréal dans le cadre de Vidéo 84 à la Galerie Optica, un centre d'artistes autogéré. Sa trajectoire d'exposition s'est poursuivie sur trente ans, l'œuvre ayant été ré-exposée à Montréal, Londres et New York en 1984-85, à Oxford en 1990, à Leeds en 1991, à la Ferme du Buisson, près de Paris, en 1993 et une fois de plus à Londres en 2016. Vidéo 84 - aussi connu sous le nom de Rencontres vidéo internationales de Montréal et organisées par Andrée Duchaîne, comprenait des œuvres réalisées par dix-huit artistes internationaux provenant de onze pays, tels que Dara Birnbaum, Mary Lucier, General Idea et l'artiste néerlandais Servaas.

 L'exposition, présentée (simultanément) dans huit galeries et lieux d'art montréalais, était accompagnée d'un symposium organisé par l'historien de l'art René Payant.Dans AIDS TV, la plus importante étude effectuée sur des vidéos réalisées par des militants  américains et, en particulier, new-yorkais, Alexandra Juhasz note l’importance fondamentale de l'œuvre vidéo de Marshall pour l'avènement d'un « média alternatif sur le sida ».[2] Plus récemment, Roger Hallas étudie comment Marshall et les archives d'images animées sur le sida « ont témoigné » de la politique, de l'histoire et de la culture passée ou actuelle du sida.[3] Aimar Arriola va plus loin et suggère que les vastes « archives queers  » de Marshall ont eu pour effet de réactiver les luttes antérieures dans le présent et pour l'avenir, et cite Marshall qui observe que « le SIDA favorise la construction d’alliances qui ne sont pas encore ».[4]

Mais voyons d’abord ce qu’est le Journal of the Plague Year et comment il atterrit à Montréal.

Journal of the Plague Year est une installation totalement silencieuse - une exception notable dans le travail de Marshall, formé comme musicien et artiste sonore. Le milieu qu’il fréquente est le fruit d'une éducation reçue des deux côtés de l'Atlantique, d’abord au Hornsey College of Art, à Londres, où il participe à une manifestation étudiante en 1968, puis au Newport College of Art (Pays de Galles) et à l'université de Wesleyan (Connecticut). Marshall entre alors dans la sphère d'influence de certains musiciens d'avant-garde tels que Gavin Bryars et devient finalement un élève privilégié d'Alvin Lucier, à Wesleyan. Ce milieu sonore évolue dans une forme post-Cagéenne où le poids du silence est à la fois matériel et politique.[5]

Pour Journal, des cloisons comme celles qui séparent les urinoirs des toilettes publiques encadrent plusieurs moniteurs vidéo de 12 pouces chacun, le tout disposé sur un imposant mur de huit mètres de long. Autour de chaque écran, on lit en gros caractères une citation sur le sida et son contexte général. S'inspirant de l'œuvre précédente Kaposi's Sarcoma : A Plague and Its Symptoms,1983, les diverses citations, choisies pour mettre en lumière le contenu et le contexte de la vidéo correspondante, proviennent de sources historiques, médicales, médiatiques ou encore de graffitis et sont reproduites dans des polices de caractères de type journal ou sous forme manuscrite.[6]

Journal of the Plague Year  tire son nom du livre du même titre publié en 1722 par l'auteur et journaliste Daniel Defoe qui l'a conçu comme un témoignage à la première personne de la grande peste de 1665-66 qui sévissait alors à Londres et dans les environs. Marshall expliquera plus tard : 

« L'expression The Gay Plague (La peste gay) est apparue pendant les deux premières vagues de reportages homophobes sur le sida dans la presse tabloïd anglaise, en 1983 et 1984. En réponse à ce journalisme dégoûtant, j'ai réalisé une œuvre qui porte sur l'expérience du sida au sein de la communauté gay. Pour souligner ce point de vue d'initié, je l'ai intitulée d'après le récit de Daniel Defoe sur la peste noire. » [7]

La documentation de l'installation présentée par  Marshall à Vidéo 84[8] offre un cadre de référence historique qui contextualise la représentation médiatique du sida comme une sorted' « histoire au présent »[9], pour reprendre le concept de Michel Foucault. Les vidéos révèlent trois contextes plutôt  contemporains et trois contextes historiques : Paris (1979), Londres (1984) et Angleterre (1984), puis Flossenbürg (1983), Nuremberg (1983) et Berlin (1933).

La vidéo de Marshall, de facture dépouillée et d’abord tournée avec caméra fixe, passe brusquement à un tournage avec caméra à l'épaule qui arpente l’appartement chic et vide - sans doute celui de Marshall - qui sert de cadre à Paris (1979). Dans London (1984), on voit d’un coté de la pièce puis de l’autre un homme, jeune, blanc, qui dort. Cet homme est l'archétype du « clone » de la scène gay londonienne du début et du milieu des années 1980. Le gros plan sur son corps révèle qu’il s’agit de Steve, le petit ami de Marshall.[10]

Dans une critique de Taxi Zum Klo (1980), ce classique de la nouvelle vague allemande qui se traduit à peu près par Taxi to the Loos, Marshall souligne:

« les différentes relations émotionnelles et sexuelles non monogames que les homosexuels tentent d'établir pour répondre au mieux à leurs besoins, ou les analyses politiques complexes et ardues qu'ils tentent d'effectuer dans des domaines d'expérience que l'hétérosexisme patriarcal a qualifiés d’intimes ».[11]

Par contre, la vidéo England, 1984 consiste en un montage de titres de tabloïds homophobiques sur le sida, signe que la sphère publique délimitée par l'hétérosexualité patriarcale dominante devient de plus en plus homophobe et punitive. D’ailleurs, en 1990, Marshall dira qu’England est une contreposition faite de « représentations dérivées des sphères publique et privée qui fait état de la lutte pour déterminer les significations de l'homosexualité ».[12]

À ce titre, l'analyse de Marshall s'articule autour de la contradiction que constitue la décriminalisation des relations sexuelles entre hommes, inscrite en Angleterre dans le Sexual Offences Act de 1967[13] et au Canada dans la Loi de 1969[14] modifiant le Code criminel. À l'époque, ces législations stipulaient que les rapports sexuels n'étaient légaux que s'ils avaient lieu en privé et entre deux personnes âgées de plus de 21 ans. La disposition des toilettes de Journal renvoie à d'autres arènes et champs de bataille propres à la sexualité masculine gay et HSH  en montrant des lieux et des personnes supposément libérées, mais manifestement vulnérables à la surveillance policière, au piégeage et à la criminalisation.

Pour Journal of the Plague Year, Marshall a juxtaposé certaines innovations formelles en installation vidéo. Par exemple, l'installation à quatre canaux de Beryl Korot, Dachau, 1974,[15] est une présentation multi-écrans qui entremêle un collage de textes trouvés et de vidéos filmées par  Korot elle-même dans l'ancien camp de concentration allemand.

Trois décors historiques mais  tournés au présent sur pellicule Super-8 réfèrent à l'Allemagne de 1933, soit l'année où les nazis sont arrivés au pouvoir. Les décors de Flossenbürg, 1983, Nuremberg, 1983 et Berlin, 1933 comprennent en effet des images des ruines de la Place d'Armes nazie de Nuremberg et des images des carrières de l'ancien camp de concentration de Flossenbürg - d’où l'on a extrait le granit ayant servi à la construction de la Place en obligeant des prisonniers homosexuels marqués du « triangle rose » au travail forcé.

Sur le dernier moniteur - Berlin, 1933 - on voit un bûcher composé de livres, d'images et de photos représentant la bibliothèque de recherche et les archives du sexologue allemand et militant pour une réforme sexuelle Magnus Hirschfeld. Ces images de bibliothèque et d’archives, détruites lors d'un raid nocturne sur l’Institut de sexologie de Hirschfeld, se juxtaposent à celles des livres brûlés par les nazis sur la place de l'opéra de Berlin. Dans le contexte contemporain d’appels à la censure de la littérature sur le sida ou, pire encore, des menaces de quarantaine ou d'emprisonnement pour les personnes atteintes du sida, la diégèse de Marshall établit un lien entre la destruction des biens et des recherches de Hirschfeld et l'emprisonnement et le travail forcé dont ont souffert les homosexuels dans l'Allemagne nazie.

En 1984-85, 1990-1991, 1994 et 2016, l’installation Journal of the Plague Year fut exposée en Amérique du Nord, au Royaume-Uni et en France. En 1984, elle fut présentée en succession rapide à Vidéo 84 à Montréal, à Cross Currents au Royal College of Art à Londres, puis en format mono-écran dans le cadre de l'exposition Difference: On Representation & Sexuality, au New Museum à New York.

Entre-temps, Marshall continue d’adapter le contenu textuel. Dans la version de 1984, le texte graffiti encadrant  le moniteur où l’on voit l'homme endormi de l’installation London, 1984 se lit comme suit: AIDS KILLS QUEERS (le sida tue les pédés). Mais dans les versions de 1990 et postérieures, le texte devient AIDS: ARSE INJECTED DEATH SENTENCE  (Sida: condamnation a mort par injection dans le cul), ce qui ne laisse d’ailleurs que peu de place à l'imagination.

Un texte plus ambigu encadre le moniteur qui présente Paris, 1979 : « Cela fait maintenant deux semaines et trois jours. Sa mère essaie toujours d'entrer dans l'appartement. Elle menace d'appeler la police ». Les gros titres de tabloïd d’Angleterre, 1984  contrastent  avec la police d’écriture d’un rapport médical où on lit : « Le sarcome de Kaposi : un regard oncologique ».

Le texte autour de l'écran où l’on voit Berlin, 1933 se lit : « Ce soir, des stormtroopers ont transporté le contenu de l'Institut de sexologie sur la Place de l'Opéra et y ont mis le feu avec beaucoup d’enthousiasme ». Pour rappeler l'histoire des homosexuels marqués du « triangle rose », les textes des moniteurs Flossenbürg, 1983 et Nuremberg, 1983 se lisent comme suit :

« On m'a finalement amené à Flossenbürg. C'est là que les pierres nécessaires aux grands travaux de construction d'Hitler étaient déterrées et préparées. Les travaux de dynamitage, d'extraction, de taille et de dressage étaient extrêmement dangereux et ardus et seuls les Juifs et les homosexuels y étaient affectés. »

Un des textes de l'exposition, manifestement rédigé par Marshall, indique qu’« il a fallu plus de cent ans aux homosexuels pour arracher au corps médical le droit de définir leur sexualité. En raison de l’articulation idéologique récente entre sexualité et maladie, les homosexuels sont en train de perdre le droit durement acquis de définir leur propre sexualité au profit de la profession médicale.» [16]                                     

Malgré l'homophobie évidente des médias, la claustrophobie que suscite une surveillance croissante et la perte d'autonomie au sein de la communauté gay et, pire encore, malgré la menace tangible d'une mise en quarantaine pendant les premiers jours de la crise du sida, l'installation est pénétrée d’un profond regard médical, évoquant ainsi le poids de l'Histoire et la suppression des tentatives de libération du passé. Mais en soi, l'intervention de Marshall, dans ses nombreuses versions ou règne un silence stratégique, demeure un acte militant de résistance culturelle contre l'oppression subie par toutes les communautés touchées par le sida et la stigmatisation dont souffrent les PWA (people with aids - gens atteints du sida).

Avant Journal of the Plague Year (After Daniel Defoe) Marshalls a réalisé Kaposi's Sarcoma : A Plague and Its Symptoms, (Le sarcome de Kaposi: Une peste et ses symptômes) qui fut peut-être la première vidéo militante au monde contre le sida et qui a circulé au Canada dans le cadre d'une exposition de vidéos d'artistes britanniques indépendants en 1983. Elle fut suivie par le célèbre documentaire télévisé Bright Eyes (Marshall),  diffusé sur Channel 4 au Royaume-Uni à la fin 1984. Ce documentaire - une œuvre phare dans le corpus de la vidéo internationale sur le sida - a donné naissance à un nouveau type d'activisme vidéo contre le sida.

Les oeuvres Journal et Kaposi's Sarcoma méritent à juste titre de faire partie intégrante des interventions médiatiques de Marshall au cours de la première phase de l'épidémie de sida - que ce soit dans dans les galeries d'art et universités, par le biais de l'art vidéo et des réseaux vidéo communautaires ou lors d'entrevues sur les chaînes de télévision publiques et câblées. Enfin, et ce n’est pas le moindre, ces œuvres racontent comment Marshall a évolué dans les réseaux artistiques et militants LGBTQ+ et sida au Canada et en Amérique du Nord au cours des années 1983-84 et jusqu’au début des années 1990 pour devenir une figure marquante de l'activisme culturel LGBTQ+ et sida au Canada, au Royaume-Uni et à l'échelle internationale.

Dans une entrevue télévisée de juin 1983 et enregistrée pour Gayblevision[17] - une émission de télévision câblée gay et lesbienne de Vancouver, Marshall est au Video Inn, un centre d'artistes autogéré de Vancouver. On présente l’artiste comme « un producteur vidéo indépendant et un écrivain basé à Londres qui s’implique dans le militantisme gay ».[18]

Marshall parle également de sa nouvelle œuvre vidéo contre le sida, Kaposi's Sarcoma.

Sur papier, Marshall est le représentant britannique officiel du programme itinérant d'ateliers et de projections de vidéos d'artistes britanniques mentionné plus haut, une initiative financée par le British Council. Dans l'entretien, il évoque la production vidéo indépendante au Royaume-Uni, la place limitée que réservent les médias britanniques à la vidéo et au contenu LGBTQ+, et parle des premieres  réactions de la communauté gay britannique face au sida. Ici, la dernière partie du titre de Kaposi's Sarcoma se lit comme suit : A Plague and Its Symptoms (Une peste et ses symptômes). Comme le note modestement Marshall - qui a l’habitude de ne pas citer ses sources - « il s'agit d'une citation d'Artaud. »[19]

Cette déclaration est importante, car Marshall était un critique d'art et un théoricien de la vidéo passionné de French Theory, dont la réflexion s'ancrait dans les récentes vidéos queers et féministes britanniques et nord-américaines. Avant Journal, les œuvres vidéo de Marshall sont passées de la performance à la vidéo, puis d’œuvres monocanales faisant référence à l'histoire récente de la vidéo conceptuelle et féministe à des œuvres plus expérimentales dans leur forme et faisant appel à des acteurs professionnels utilisant des méthodes de théâtre télévisuel et d'agit-prop. Ces dernières œuvres incluent aussi des scénarios hybrides et des citations provenant notamment de textes théoriques de Louis Althusser, Simone de Beauvoir, Michel Foucault et Guy Hocquenghem.[20]

Marshall se base donc sur un mélange de pensée critique et théorique de culture francophone et de pensée critique de gauche anglophone à l'activisme média queer - en particulier britannique - quand il voit la vidéo comme un médium « signifiant » et « oppositionnel ». C’est cette gauche qui a catalysé la demande pour un média alternatif lors de la rédaction du « Manifeste britannique de libération gay », en 1971, lequel identifie les médias comme l'un des shibboleths de la société hétérosexuelle utilisés pour opprimer les homosexuels.[21] Marshall cite des théoriciens britanniques des médias de gauche, comme Raymond Williams[22], Stuart Hall[23] et le Glasgow Media Group[24], dont il combine les idées à la théorie de la culture post structurale (chez les francophones), telle que la « sémanalyse » de Julia Kristeva[25], qui voit  la culture dans son ensemble comme un champ d'interprétation sémiotique « signifiant » et psychanalytique, une conception qui rejoint la pensée de Marshall.

En fait, il est révélateur que la référence de Marshall à Artaud soit directement tirée du livre de Guy Hocquenghem, Homosexual Desire, publié en 1972, dans lequel Hocquenghem observe ce qui suit en parlant de la syphilis: 

« La syphilis n'est pas seulement un virus, c'est aussi une idéologie ; elle forme un tout fantasmatique, comme la peste et ses symptômes tels qu'Antonin Artaud les a analysés. La base de la syphilis est la peur fantasmatique d'une contamination, d'une avancée parallèle secrète tant par le virus que par les forces inconscientes de la libido ; l'homosexuel transmet la syphilis comme il transmet l'homosexualité. »[26]

Comme Marshall l'explique en entrevue, on observait clairement ces associations phobiques dans la réaction initiale des médias face au sida, pavant ainsi la voie à un enchaînement d’associations similaires encore plus morbides et qui ne sont que trop évidentes dans la couverture internationale du sida. Cette équivalence morale entre promiscuité homosexuelle masculine et maladie, ou mort, renforcée par l’association entre promiscuité homosexuelle masculine et sida, Marshall la transposera plus tard par dans Bright Eyes par une analyse visuelle rigoureuse de la couverture médiatique homophobe des tabloïds sur les PWA (personnes atteintes du sida) et le sida. La répression qui s’exprime dans ce précédent médiatique se reflète dans les archives médicales, criminelles et en sexologie de l’époque - ce que Cindy Patton résumera plus tard par la formule « homosexualité = sida = mort ».[27]

Le projet en continu de vidéo militante contre le sida que poursuit Marshall, l'importance qu'il accorde aux archives et sa conception de la vidéo comme média signifiant et donc comme pratique « re-signifiante », présagent la conception naissante de Paula Treichler qui voit le sida comme une « épidémie de significations ».[28]

Bien qu'il semble que Kaposi's Sarcoma soit aujourd'hui malheureusement perdu, nous pouvons supposer, à partir des précieuses séquences de Gayblevision, que l'analyse des médias amorcée dans cette œuvre s'est poursuivie dans les travaux ultérieurs de Marshall : Journal of the Plague Year et Bright Eyes. Avec des images de gros titres tels que Cancer, Poppers and Gay Men (Le cancer, les poppers et les hommes gay) et Are Homosexuals Killing Themselves ? (Les homosexuels se suicident-ils?), on ne peut qu'être d'accord avec Marshall pour dire que « la façon dont les médias ont représenté le sida n'est rien d'autre qu'une forme sophistiquée de dénigrement des homosexuels ».[29]

On remarque que l'analyse effectuée par Marshall dans ses première œuvres doit probablement aussi quelque chose à un autre article parallèle retrouvé dans les archives canadiennes sur le sida, “Living with Kaposi's Sarcoma” (Vivre avec le sarcome de Kaposi) de l'activiste du sida et PWA Michael Lynch, et publié en 1982 dans la revue The Body Politic.[30] Dans cet article qui amalgame analyse historique, critique et littéraire, Lynch dresse le portrait de Fred, un homme atteint du sida sous la forme d'un sarcome de Kaposi, et en vient à considérer le sida comme « un revers majeur pour ce que nous avions l'habitude d'appeler la libération gay. »[31]

Comme les textes de Hocquenghem, l’article de Lynch fonde son analyse sur une représentation de l'homosexuel telle que perçue à travers un code pénal anti-homosexuel et un modèle médical de la psychologie et de la sexologie datant du dix-neuvième et du début du vingtième siècle, ainsi que sur la résistance à cette pathologisation après la libération des homosexuels - autant de thèmes développés par Marshall dans des vidéos activistes et intertextuelles qui présentent ces histoires et leur résonance dans le contexte du sida.[32]

Vincent et moi avons réfléchi au silence volontaire du critique et historien de l'art montréalais René Payant (1949-1987), qui était un contemporain de Stuart Marshall. Payant était l’éditeur du catalogue publié en 1986 de l'exposition Vidéo 84. Payant était ouvertement gay et séropositif à une époque où les institutions étaient encore homophobes. Bien qu'il ait écrit sur l'exposition de Marshall pour le catalogue, Payant a peu parlé de son contenu. Ce mutisme - qui résonne à la fois dans l'installation silencieuse de Marshall et dans le texte de Payant - reconnaît-il peut-être ainsi un espace temporel entre la dénomination d'un nouveau virus, qu’on appelle maintenant VIH, et l'articulation de nouvelles formes de luttes contre le sida. Car d'autres choses ont été ressenties, d'autres choses ont été vécues pendant ces premières années de la crise du sida - qui ne pouvaient et ne peuvent, peut-être encore, être nommées (et demeurent silencieuses).

Dans un éditorial d'Artforum de janvier 1987 portant sur Bright Eyes et intitulé Esthetics and Loss (Esthétique et perte), Edmund White s'exprime ainsi :

« Si l'art veut aborder le sida avec plus d'honnêteté que ne l'ont fait les médias, il doit le faire avec tact, éviter l'humour (à tout prix) et finir dans la colère.... Il faut éviter l'humour, parce que l'humour semble ici ridiculement  inapproprié. L'humour crée des conditions agréables pour le public - qui demeure ainsi indifférent, au mieux mal à l'aise - face à ce qui est un scandale innommable : la mort. »[33]

Bien que ces déclarations de White concernant l'impact du militantisme sur le sida aient été rapidement réfutées par Douglas Crimp, John Greyson et d'autres, Marshall présente une théorie du silence plus nuancée deux ans plus tard lors de la conférence How Do I Look ? qui s'est tenue à l'Anthology Film Archives à New York.[34] Marshall livre alors une communication intitulée “The Contemporary Political Use of Gay History : The Third Reich” (L’utilisation politique contemporaine de l’histoire des homosexuels: Le 3e Reich) où il décrit l'appropriation, par la communauté gay moderne, du triangle rose qui servit à identifier les prisonniers homosexuels dans les camps de concentration nazis.[35]

Pour Marshall, la juxtaposition, récente à l'époque, du triangle rose inversé et des mots « Silence = Death » dans la campagne d'affichage Silence = Death/ACT UP, bien que louée à juste titre pour sa valeur politique, risquait de jeter de l’ombre sur les histoires et les témoignages émergents des gays et lesbiennes ayant survécu aux persécutions nazies[36], et pour qui la proposition opposée - « Silence = Survival (Silence = Survie) - avait sans doute été le seul moyen d’échapper à la mort.[37] Plus récemment, Jack Halberstam a recontextualisé cette critique de l’appropriation du triangle rose par Marshall de même que la figure du fasciste gay et autres « silences » dans les épistémologies et pratiques queers.[38]

À l'époque, dans la presse respectivement britannique et québécoise, Jez Welsh et Christine Ross ont souligné la compétence exceptionnelle de Journal of the Plague Year pour rassembler certaines polémiques et réactions personnelles en provenance de la communauté gay contre la réaction des médias au sida. Dans la revue « Parachute », Ross déclare que « l'activité de l'artiste (Marshall) oscille entre appropriation et architecture.... L'installation prend la forme d'un journal pour dévoiler l'idéologie anti-homosexuelle véhiculée par les médias afin de secouer la passivité habituelle du spectateur face aux médias. »[39] Dans Performance, Welsh parle de médias homophobes qui se servent de « la maladie, ou de la peur de la maladie comme moyen de contrôle social. »[40]

Dans l’essai pour la publication qui accompagnait la conférence How Do I Look ?, Marshall révèle quelles étaient ses intentions derrière ses premières oeuvres vidéo militantes sur le sida :

« Cela a pris la forme d'un collage de différentes significations, de différents discours et images historiques sur l'homosexualité et la maladie.... (...) une série de juxtapositions d'unités textuelles disséminées dans le temps.... J'ai choisi cette forme parce qu'elle me permet d'entrechoquer différents épisodes historiques de manière à ce que le spectateur soit confronté au problème de l'assemblage de leurs relations mutuelles. »[41]

Marshall conclut que bien qu'il n'ait pas voulu « tracer un parallèle entre l'épidémie de sida et l'Holocauste », il a néanmoins « eu peur que le mouvement international de défense des droits des lesbiennes et des gays ne subisse dans les années 1980 un sort similaire à celui qu'a connu le mouvement allemand dans les années 1930 et qu’il fut totalement détruit par les nazis. »[42]

Après Journal of the Plague Year, Marshall a vu son documentaire télévisé Bright Eyes acquérir encore plus d’importance, culturellement, puisqu’il fut inclus dans les principales enquêtes et compilations de vidéos militantes contre le sida et rediffusé sur la télévision câblée.[43]

En 1987, dans un numéro spécial du magazine artistique phare October, “AIDS : Cultural Analysis/Cultural Activism”, l’historien de l'art queer et militant contre le sida Douglas Crimp décrit Bright Eyes comme une œuvre qui se situe au coeur d’« une alternative critique, théorique et miliotante aux expressions personnelles et mélancoliques  qui semblent dominer la réaction du monde de l'art au sida ». Poussé par Marshall, Crimp affirme que « le sida coincide avec une nécessaire refonte critique de toute la culture - du langage et de la représentation, de la science et de la médecine, de la santé et de la maladie, du sexe et de la mort, du domaine public et du domaine privé ».[44]

Tout comme Kaposi's Sarcoma et Journal, le documentaire expérimental tripartite Bright Eyes sur la représentation homophobe du sida dans les médias (et diffusé le 17 décembre 1984 sur Channel 4, au Royaume-Uni), expose les sous-textes moralisateurs, pathologisants et criminalisants des images médiatiques de personnes atteintes du sida. Dans les deux premières parties, Marshall entrelace des scénarios tirés de drames médicaux ou d'émissions de téléréalité, qu’il recrée avec une petite troupe d'acteurs de théâtre et de télévision d'agit-prop, et qu’il soumet à une analyse historique et critique de l'homosexualité, de la taxonomie et de la maladie. Inspiré à la fois par les approches  récentes queers et féministes en cinéma et vidéo, par le théâtre gay et lesbien et par une forme de fabulation critique de plus en plus répandue à la télévision britannique dans les années 1960 et 1970, Bright Eyes met en scène un nouveau type d'intervention militante contre le sida dans le cadre de la réaction globale des médias.[45] Cette intervention vidéographique juxtapose des rapports alarmants - tirés de la presse à sensation récente et de revues médicales historiques - à des reconstitutions d'histoires queers relatives au mouvement de réforme sexuelle allemand, aux prisonniers du « triangle rose » et à l'emprisonnement des homosexuels par la police dans le Londres d'aujourd'hui.

L’intervention permet ainsi de comparer des vies homosexuelles d’hier et d’aujourd’hui et la répression sociétale et institutionnelle du désir homosexuel en particulier. Marshall utilise des acteurs jouant de doubles ou multiples rôles et des techniques de distanciation brechtiennes pour explorer le sida dans le contexte d'une « histoire du présent ». Cela permet de révéler des préjugés sociaux plus profonds, à savoir l'homophobie, la misogynie et la colonialité au sein d’institutions qui sont au cœur de la pensée des Lumières ou de la pensée actuelle. Dans la troisième partie du documentaire, face à la panique morale qui régnait alors dans l'esprit du public suite aux rapports sur le sida, aux descentes de police et de services frontaliers dans les librairies gays et lesbiennes, et aux pièges tendus par la police dans les lieux de drague, des leaders, médecins et militants de la communauté VIH/sida remettent les pendules à l'heure en ce qui concerne le sida, les droits des gays, lesbiennes et PWA, et les lois sur la censure.

À bien des égards, ce premier trio d'œuvres vidéo militantes de Marshall conte le sida est devenu un palimpseste pour les documentaires télévisés ultérieurs de l’artiste sur les LGBTQ+ et le sida qui furent diffusés dans le cadre de la série «OUT» sur Channel 4, entre 1989 et 1992. Il s'agit notamment de : Desire : Sexuality in Germany 1910-1945 (1989), Comrades in Arms (1990), Over Our Dead Bodies (1991) et Blue Boys (1992).

S’exprimant sur des œuvres comme Desire et Comrades in Arms qui explorent le désir homosexuel et l'oppression historique des LGBTQ+, Marshall déclare en 1989 que son intention lui apparut comme étant un «besoin pressant de découvrir par moi-même des stratégies de survie[46] dans le contexte de la crise du sida, face à ce que c'était que de survivre à ce point limite, à cette inconcevable expérience de terrifiante persécution... ».

Dans la troisième série, Over Our Dead Bodies (1991) est un portrait des nouveaux activismes transatlantiques d'ACT UP, OutRage ! et Queer Nation, qui sont axés sur l'action directe et la justice sociale en matière de sida et d'homosexualité. Pour chacun de ces films, Marshall produit une version longue qui fait le tour des festivals internationaux de films gays et lesbiens et reçoit  des éloges à San Francisco, Berlin et de nombreux autres festivals de premier plan. Au festival Image + Nation, à Montréal, Bright Eyes est projeté en 1988, Desire en 1989 et Comrades in Arms en 1990.

Bright Eyes ouvre également le programme de films et vidéos lors de la 5e Conférence internationale sur le sida au Palais des Congrès de Montréal en juin 1989.

La 5e Conférence internationale fut en effet la première à inclure une programmation culturelle - SIDART, qui était un événement parallèle audacieux coordonné par  le montréalais Ken Morrison, et qui proposait une représentation internationale de l'activisme culturel en matière de sida dans les domaines du cinéma, de la vidéo, du théâtre et des arts visuels, et cela dans plusieurs lieux culturels de la ville et locaux de la conférence.

La 5e Conférence internationale sur le sida est surtout connue pour la prise en charge de sa cérémonie d'ouverture par des militants, notamment des membres de Réaction sida (Montréal), AIDS Action NOW (Toronto) et ACT UP (New York), au nom d'autres PWA du monde entier. Les protagonistes de l'action directe contre le sida ont profité de la présence des médias internationaux pour lancer « Le Manifeste de Montréal » qui, s'appuyant sur des expériences passées de personnes vivant avec le sida, demandait que les malades soient inclus dans les essais cliniques et les protocoles de recherche. Dans la publication de suivi de 1992, A Leap in the Dark : AIDS, Art and Contemporary Cultures, éditée par Allan Klusaček et Ken Morrison[47], plusieurs contributeurs ont cité l’influence de Marshall dans le débat culturel et militant contre le sida, notamment Douglas Crimp, Pratibha Parmar et Simon Watney.

En 1990 et 1991, Journal fait partie de l’exposition Sign of the Times, qui présente au Museum of Modern Art, à Oxford, à la Leeds Art Gallery et à la Leeds Polytechnic Gallery des installations vidéo, des films et des diapositives produites dans les années 1980. Sur un ton pessimiste, Marshall estime que « peu de choses ont changé ». Comme il l'explique :

« Les politiciens et les moralistes de droite, ainsi que la presse nationale, continuent d'exprimer leur haine des morts et des mourants et de dénigrer le travail accompli par la communauté pour s'occuper d'elle-même et instruire le grand public sur la nécessité d'adopter de nouvelles pratiques sexuelles plus sécuritaires. »[48]

Marshall a de nouveau dédié son travail à: « tous ces hommes avec lesquels j'ai travaillé, que j'ai admirés et aimés et qui sont aujourd'hui décédés ».[49]

Malheureusement, lors de l'exposition « Signes des Temps », un peu plus de trois ans plus tard, à la Ferme du Buisson, près de Paris, le catalogue annonce: « Stuart Marshall est décédé le 31 mai 1993. »[50] C’est pourquoi le festival Image + Nation de 1993 comportait une section « Hommages » consacrée à Stuart Marshall qui incluait des projections de Bright Eyes, Desire et Robert Marshall (1991). Comme l'indique le catalogue :

« La mort de Stuart Marshall nous a privés d'un esprit radicalement indépendant. Probablement mieux connu comme réalisateur de certains des films les plus novateurs et les plus stimulants sur la sexualité et le sida des années 1980 et du début des années 1990 (et ayant remporté des prix dans le monde entier), Stuart était bien plus que cela. Il était une source d'inspiration, un artiste au sens large du terme, une personne dont l'amour et l'humour sont entrés dans la vie d'innombrables personnes. »[51]

Après la mort de Stuart Marshall, Royston Edwards, qui était son compagnon, fait don des documents de recherche de Marshall à sa société de production télévisuelle, Mayavision, en vue d'un archivage plus complet de son travail. Rebecca Dobbs, productrice chez Mayavision et amie de Marshall, fera plus tard don de ces documents à la British Artists' Film and Video Study Collection, où ils se trouvent encore aujourd'hui.

Tragiquement, Edwards décède subitement au début des années 2000. Dans la foulée, sa famille demeure insensible à sa relation avec Marshall en raison de leur séropositivité à tous deux. Toutes les cassettes vidéo ayant survécu, y compris Kaposi's Sarcoma et les œuvres sonores et vidéo antérieures de Marshall, incluant les partitions musicales, sont détruites, de même que la bibliothèque de recherche de Marshall.

Les œuvres d'Esther Valiquette - dont Le récit d'A  - exposent leurs propres motivations et limites épistémologiques, critiques et politiques. Vincent Bonin souligne comment Valiquette, bien qu'ayant brisé le silence sur le sida dans le monde du cinéma québécois, a trouvé peu d'échos chez les activistes militants, dans un contexte où militer contre le sida équivalait à promouvoir les rapports sexuels protégés, ou à emprunter un humour percutant ou encore à susciter la polémique. Contrairement à l'œuvre de Marshall, celle de Valiquette, après sa mort en 1994, est restée plus ou moins connue jusqu'à sa redécouverte par Chantal Nadeau, spécialiste des études sur le genre et les femmes. Depuis, des projets de recherche militants contre le sida, menés par Jordan Arsenault, Maria Nengeh Mensah, Thomas Waugh et d’autres, ont aussi reconnu son travail. Leurs réflexions m’ont d’ailleurs inspiré quand j'ai commissarié,  de concert avec Vincent, un programme d'œuvres vidéo réalisées par des artistes vivant avec le sida à partir de la collection du Vidéographe, où elles furent présentées en 2022.

Je vois des liens étroits entre Le récit d'A et le travail de cinéastes féministes britanniques telles que Tina Keane, en particulier dans In Our Hands, Greenham (1984). Ce documentaire expérimental de Keane sur le camp de paix des femmes de Greenham Common[52] a circulé dans le cadre de l'exposition British/Canadian Video Exchange '84, l'année même où Bright Eyes et Journal ont fait leurs débuts. J’établis également un parallèle (entre « Le récit d’A ») et la polémique poétique et antiraciste de Pratibha Parmar dans Sari Red (1986) ou avec la méditation de Sandra Lahire sur le capitalisme extractif de Serpent River (1989). Comme ceux de Valiquette, les films féministes britanniques de la deuxième vague des années 1980 intègrent des perspectives féministes transnationales, écologiques et intersectionnelles à une forme narrative expérimentale ; comme la périodisation installée par le Journal de Marshall et Le récit d'A de Valiquette, ces œuvres montrent d’autres parallèles à explorer plus avant entre Histoire et militantisme.

En résumé, à l'ère de la PrEP et d'autres traitements efficaces contre le sida, la rediffusion du Journal of the Plague Year, dans les années 1980 et 1990 et plus récemment dans les années 2010[53], lui a donné un nouvel élan, surtout dans le contexte de réactualisation des œuvres de Marshall, des récentes enquêtes sur le militantisme contre le sida et des vagues successives d'artistes LGBTQ+ et de militants auxquels Marshall a ouvert la voie. Ce contexte inclut mon propre projet de recherche, Learning in a Public Medium, et Picturing a Pandemic, un projet plus récent où j'ai pu présenter Bright Eyes et Over Our Dead Bodies (de Marshall) aux côtés d’oeuvres des cinéastes Richard Fung, Zachery Longboy et Vincent Chevalier à un public en ligne pendant la première fermeture due à la COVID-19 au Royaume-Uni.[54]

À première vue, les œuvres Kaposi's Sarcoma, Journal of the Plague Year et Bright Eyes étaient annonciatrices d’un nouvel horizon dans le militantisme vidéographique et culturel contre le sida. En intégrant de nouvelles façons de lier les théories et pratiques LGBTQ+ anglophones et francophones, ces œuvres présageaient un nouvel horizon où les stratégies militantes au Canada et en Amérique du Nord se rejoignent dans un effort militant transnational contre le sida (alors) en pleine progression.

D’autre part, on prend sans doute pour acquis ou l’on sous-estime dans quelle mesure ces interventions médiatiques, en tant que manifestations et nouvelles forme de protestation, ont renoué avec des stratégies culturelles et militantes préexistantes pour redéfinir la manière dont nous interagissons avec les médias afin de poser un regard critique sur d’autres périodes, crises (sanitaires) et pandémies au sein d’une culture numérique 2.0.

Réactiver ces œuvres dans un cadre numérique 2.0, c’est réaffirmer leur potentiel et la nécessité de poursuivre l’engagement avec elles et leurs nouveaux publics, en plus de reconnaître leur importance culturelle et historique à long terme. Cela soulève également la question de savoir quand, ou comment, on reverra le « Journal de l'année de la peste » ou s'il reviendra un jour à Montréal. Et si c'était le cas, que nous dira-t-il, et comment?

Quel silence brisera-t-il cette fois-ci ou comment se transformera-t-il en une arme redoutable? Comment parlera-t-il dans le présent, ou le futur, pour « construire des alliances qui n'existent pas encore? »

 


Traduction: Francine Lalonde

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Footnotes:

[1] Rebecca Dods, « Obituary: Stuart Marshall (1949-1993) », The Independent, 8 juin 1993.

[2] Alexandra Juhasz, AIDS TV: Identity, Community and Alternative Video (Durham, NC: Duke University Press, 1995).

[3] Roger Hallas, Reframing Bodies: AIDS, Bearing, Witness, and the Queer Moving Image (Durham, NC:Duke University Press, 2009).

[4] Aimar Arriola, « Touching What Does Not Yet Exist », Afterall 41 (Printemps-été 2016), pp. 54-63.

[5] Conal McStravick, “« Conal McStravick # 2: Learning in a Public Medium. Stuart Marshall Sound Works Part 2 - The Queer Space of Sound and Video (1975-1978) », Lux.com, 2016, https://lux.org.uk/conal-mcstravick-2-learning-public-medium/.

[6] Le cadre de référence de Marshall incluait aussi des témoignages récents tels que The Men With the Pink Triangle, par Heinz Heger (1980) et As Time Goes By, par Drew Griffith et Noel Grieg (1981), tous deux publiés par l’éditeur d’oeuvres gays et lesbiennes Gay’s Men Press, basé à Londres. Ces deux témoignages, l’un rédigé à la première personne et l’autre, sous forme d’oeuvre théâtrale d’agit-prop située dans un contexte historique, attireront  l’attention sur l’oppression exercée par les Nazis sur les homosexuels dans les années 1930, mais dans le contexte de la libération du mouvement gay des années 1970.

[7] Stuart Marshall, « Sign of the Times: A decade of Video, Film and Slide-Tape Installation in Britain, 1980-1990 », (Oxford, The Museum of Modern Art, 1990), pp.46-47.

[9]  La démarche Michel Foucault, dans l'écriture d’une « histoire au présent », provient de ses recherches archéologiques et généalogiques, et de ses lectures et publications de la fin des années 1960 et des années 1970. Elle a culminé avec Histoire de la sexualité: La volonté de savoir et  L’usage des plaisirs, trad. par Robert Hurley (New York: Pantheon: 1978 et 1985). L'approche de Foucault fut rapidement adoptée par Marshall et intégrée à ses écrits et vidéos.

[10] Je tiens ce renseignement d’Anna Thew et de Jean Mathee, des amis de Marshall.

[11] Stuart Marshall, dans une critique du film Taxi Zum Klo, de Frank Ripploh, Undercut 3-4 (1981), pp.1-2.

[12] Stuart Marshall, inscription dans Sign of the Times: A decade of Video, Film and Slide-Tape Installations 1980-1990, catalogue d’exposition (Oxford Museum of Modern Art, 1990).

[13] Sexual Offences Act 1967, UK Public General Acts 1967 c. 60, https://www.legislation.gov.uk/ukpga/1976/60.

[14] L’Encyclopédie Canadienne, s.v. L’amendement de 1969 et la (dé)criminalisation de l’homosexualité, 26 novembre 2019.

https://www.thecanadianencyclopedia.ca/en/article/the-1969-amendment-and-the-de-criminalization-of-homosexuality.

[15] Korot raconte avoir visité le site de Dachau en 1974 alors qu’il était un site touristique. Elle a décidé de le filmer comme s’il s’agissait d’un « site toujours actif et non pas du passé » puis de projeter les images dans une installation à quatre écrans afin que le spectateur ait la sensation de circuler, de l'extérieur vers l’intérieur du camp de concentration. Beryl Korot, dir.,« Dachau,1974 », Art 21, 2010.

https://www.youtube.com/watch?v=UWMbLK1awLI&t=17s.

Dans la video, Korot note plus loin qu’on parlait peu de l’Holocauste à l’époque: « Si les gens m’avaient demandé: Ou vas-tu?, et que je réponde: Oh, je vais à Dachau ce week end pour tourner une vidéo, le silence qui s'ensuivait était à couper au couteau. »

[16] Stuart Marshall, entrée de catalogue pour « Journal of the Plague Year (After Daniel Defoe) », Vidéo 84, (1986), p. 146.

[17] Gayblevision, diffusé de 1980 à1986, fut le premier magazine télévisuel gay et lesbien débrouillé sur le réseau public cablé à Vancouver.

[18] Entrevue avec Stuart Marshall, Gayblevision, épisode 137, diffusé le 4 et le 18 juillet 1983.

[19] Ibid.

[20] Stuart Marshall, A Question of Three Sets of Characteristics (1979) et The Love Show (1980).

[21] “« Les publicités dans la presse, à la radio et à la télévision favorisent le durcissement des positions contre nous et le contrôle sur la pensée à une échelle sans précédent. En pénétrant dans chaque foyer, en affectant la vie de tout le monde, ceux qui contrôlent les médias et possèdent la richesse, dans un monde contrôlé par les hommes, peuvent exagérer ou supprimer l’information à leur gré.

En d’autres circonstances, les médias ne seraient peut-être pas l'arme de la minorité (anti-gay). Mais ceux qui ont le contrôle aujourd’hui sont d’ardents défenseurs du statu quo. En conséquence, la vision véhiculée dans leurs images et leurs mots ne subvertit pas, mais favorise au contraire l’image d’une société où hommes et femmes doivent être normaux. Nous (les homosexuels) sommes perçus comme des pervers obscènes et scandaleux; comme de sauvages et dévastateurs obsédés du sexe; des dégénérés compulsifs, funestes et pathétiques; cela pendant que la vérité est occultée sous une conspiration du silence. » Gay Liberation Front,

 « The Media »,  dans Manifesto (London: Gay Liberation Front, 1971; revisé en 1978).

[22] Raymond Williams, Television: Technology and Cultural Form (London: Routledge, 1974).

[23] Stuart Hall et Paddy Whannel, The Popular Arts (Durham, NC: Duke University Press, 1964).

[24] Glasgow University Media Group, Bad News (London: Routledge & K. Paul), 1976.

[25] Julia Kristeva, « The System and the Speaking Subject », Times Literary Supplement, 12 octobre 1973.

[26] Guy Hocquenghem, Homosexual Desire (London: Allison & Busby, 1978), p.56.

[27] Cindy Patton, Sex and Germs: Politics of AIDS (Montreal: Black Rose Books, 1985), p. 4.

Simon Watney va encore plus loin dans Policing Desire: Pornography, AIDS, and the Media (Minneapolis: University of Minnesota Press, 1986); de même que Leo Bersani, avec « Is the Rectum A Grave? », dans « AIDS: Cultural Analysis/Cultural Activism, » ed. Douglas Crimp, édition spéciale, October 43 (Hiver 1987): pp. 197–222; et aussi  Lee Edelman,  dans « No Future: Queer Theory and the Death Drive » (Durham: Duke University Press, 2004).

[28]  Paula A. Treichler, « AIDS, Homophobia, and Biomedical Discourse: An Epidemic of Signification, » dans « AIDS: Cultural Analysis/Cultural Activism, » ed. Douglas Crimp, édition spéciale, October 43 (Hiver 1987), pp. 31–70.

[29] Entrevue avec Stuart Marshall, sur Gayblevision, épisode 37.

[30] Michael Lynch, « Living with Kaposi’s Sarcoma and AIDS, » The Body Politic 88 (Novembre 1982), pp. 31–37.

[31] Marshall reprend cette citation dans l’essai « Picturing Deviancy » dans Ecstatic Antibodies: Resisting the AIDS Mythology, ed. Tessa Boffin et Sunil Gupta (London: Rivers Oram Press, 1990), pp. 65–69.

[32] « Capitalism and Gay Identity » est une conférence qu’a donnée John D’Emilio devant plusieurs audiences en 1979 et 1980, et qui fut plus tard publiée comme essai dans The Lesbian and Gay Studies Reader, ed. Henry Abelove, Michèle Aina Barale et David M. Halperin (New York: Routledge, 1993),  pp.467–76. Le texte de D’Emilio partage ici une analyse similaire à celles de Marshall et de Lynch, quand il aborde la menace existentielle que représente la montée de la droite conservatrice pour les acquis de la libération gay et de la libération post-gay. Il explore aussi la menace supplémentaire que représente la mythologie construite autour des gays, dont se sont nourris les récits individuels, en l'absence d'histoires concrètes, et qui ont été transcendés autour du coming out et de l'éternel homosexuel pendant les luttes de libération gays.

Pour D'Emilio, ces histoires ont forgé « un mythe du silence, de l'invisibilité et de l'isolement, comme caractéristiques essentielles de la vie gay ». Il affirme qu'il manque une analyse critique et historique de l'horizon de l'identité gay moderne face aux économies et idéologies capitalistes qui perdurent à cause des modeles que représentent le travail salarié, la famille et l’opposition des sphères publique et privée. D'Emilio déclare :  « Nos victoires sont ténues et fragiles ; les libertés relatives des dernières années semblent trop récentes pour être permanentes. Dans certaines parties de la communauté gay et lesbienne, un sentiment de fatalité s'installe : les analogies avec l'Amérique de McCarthy, quand les pervers sexuels étaient la cible privilégiée de la droite, et avec l'Allemagne nazie, où les gays étaient envoyés dans des camps de concentration, apparaissent de plus en plus fréquemment. »

[33] Edmund White, « Esthetic and Loss », Artforum 25, no. 5, (Janvier 1987), p.71.

[34] « How Do I Look? Queer Film and Video » est le titre complet de la conférence qui s’est tenue à l’Anthology Film Archives, New York, 21–22 octobre, 1989.

[35] Stuart Marshall, « The Contemporary Political Use of Gay History: The Third Reich », dans How Do I Look? Queer Film and Video, ed. Bad Object-Choices (Seattle: Bay Press, 1991).

[36] Desire: Sexuality in Germany 1910–1945, de Marshall, contenait des témoignages de survivants à l’oppression des homosexuels pendant les années 1930 d’avant-guerre en Allemagne régime Nazi. On y voyait des bribes de récits à la 1re personne provenant de survivants du « triangle rose », tirés du livre The Men With the Pink Triangle (London: Gay Men’s Press, 1980), par Josef Kohout (qui se sert du pseudonime Heinz Heger). Ces éléments de récits ont encore plus d’acuité dans Bright Eyes.

[37] Marshall, Contemporary Political Use. 70.

[38] Jack Halberstam, Homosexuality and Fascism in The Queer Art of Failure, (Durham: Duke University Press, 2011).

[39] Christine Ross, critique de Vidéo 84, Parachute (Décembre 1984–Février 1985), p. 38.

[40] Jez Welsh, « Video on the Rocks », Performance (London) 32 (November/December 1984): 24–27.

[41] Marshall, Contemporary Political Use, pp. 65–66.

[42] Ibid.

[43] Bright Eyes fut présenté dans « Homo Video » et « AIDS : The Artists' Response », deux expositions clés LGBTQ+ et SIDA. Elle fut aussi présentée, dans le cadre de la Documenta 8, dans l'émission « Angry Initiatives/Deviant Strategies » sur le réseau satellite Deep Dish Television et sur la chaîne de télévision Cable 25 à San Francisco. Bright Eyes fait partie des collections de la Tate Modern, à Londres, et du MoMA, à New York.

[44] Douglas Crimp, introduction pour « AIDS: Cultural Analysis/Cultural Activism »,  ed. Douglas Crimp, édition spéciale, October 43 (Winter 1987), p. 15.

[45]Dans Playing Gay in the Golden Age of British TV (Londres : The History Press, 2019), Stephen Bourne exhume les histoires queers des drames présentés à la télévision britannique. Le remarqué documentaire Elgar, de Ken Russell, réalisé pour la série artistique Horizon produite par la BBC (1962) introduit lui aussi des formes dramatiques dans la représentation télévisuelle de l’Histoire à la télévision britannique qui firent partie intégrante du paysage télévisuel britannique des années 1960 et 1970.

[46] Marshall, Contemporary Political Use, p. 69.

[47] Allan Klusaček et Ken Morrison, ed., A Leap in the Dark: AIDS, Art and Contemporary Cultures (Montréal: les éditions Artexte and Véhicule Press, 1992). Disponible pour téléchargement: https://e-artexte.ca/id/eprint/6455/

[48] Stuart Marshall, déclaration tirée du catalogue de l’exposition Signes des temps.

[49] Ibid.

[50] Signes des temps, catalogue d’exposition (Paris: Centre d’art contemporain La Ferme du Buisson, 1994).

[51] Hommages: Stuart Marshall (1949–1993), catalogue du festival, Image + Nation (Montréal, 1994).

[52]  Le Greenham Common Women's Peace Camp fut organisé par des femmes pour protester contre l'installation d'armes nucléaires à l'aéroport voisin de Greenham Common. Le camp, qui a existé de 1980 à 2002, reste important dans l'histoire des féministes radicales et des activistes queers au Royaume-Uni.

[53] Journal of the Plague Year a été restauré pour « The Inoperative Community », une exposition d'œuvres en images animées présentée à Raven Row, à Londres, du 3 décembre 2015 au 14 février 2016. L'exposition fut organisée par le conservateur indépendant Dan Kidner.

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