Regard sur une décennie de vidéo libre

 
Résumé
Ce texte découle d'une résidence de recherche et de commissariat du collectif de projectionnistes Le Sémaphore à Vidéographe à l'automne 2017.
Auteurs
Le Sémaphore
Le Sémaphore fabrique dans la nuit des destinations détournées : de la lumière pour découper des images alternatives dans des lieux périphériques et des abords urbains; des films de rue, des expérimentations mobiles, des œuvres mineures ou inconnues projetées dans des espaces en friche.

Quand nous nous sommes lancés dans cette résidence, nous étions portés par une idée fantasmatique de ce vers quoi nous nous mettions en marche : un vaste corpus de tentatives, d’expérimentations, d’explorations autant formelles que politiques nous attendait. L’utopie qui avait, nous le sentions, animée la mise en œuvre du Vidéographe en 1971, se réactivait dans le désir que nous avions d’explorer les premières bandes issues de cette décennie de « vidéo libre », pour reprendre le titre (Vive le vidéo libre) d’un des « vidéogrammes » alors produits.

Nous savions déjà, de par nos recherches préliminaires, que Vidéographe, prolongement du programme Société nouvelle / Challenge for Change de l’ONF, s’articulait autour d’un projet technologique novateur : démocratiser la production et la distribution des images à travers la vidéo. Ce médium alors tout nouveau faisait l’objet d’un grand engouement dans les milieux autant artistiques que militants : de TVTV à The Kitchen, du Experimental Television Center à Optic Nerve (pour ne nommer que ces exemples américains), il y avait à l’époque tout un mouvement plaçant la vidéo, en droite ligne avec les théories de Marshall McLuhan, au cœur d’une révolution médiatique en cours. Ce médium permettrait – c’est du moins ce qu’il promettait – une remise en question radicale du contexte de production, des rapports producteurs / spectateurs et des modalités de circulation des images. Comment allait s’actualiser, dans le contexte québécois, cette utopie technologique ? Qu’avait pu engendrer comme formes cette expérience singulière offrant un accès permanent (il ne s’agit pas d’une figure de style : Vidéographe était ouvert 24 heures sur 24) à des moyens de production et de distribution vidéographiques ?

Nous avons décidé d’aborder la question sans passer par une étape de recherche, et de nous lancer dès le début de la résidence dans un visionnement systématique. Une approche inductive en phase avec les manières de faire du collectif, qui conjugue, sans jamais les accorder, différentes approches et sensibilités dans une réflexion pratique sur les images et leurs potentielles projections pour créer des situations qui les mettent en prise avec des idées, des espaces, des temporalités spécifiques. Ainsi, se lancer dans la collection de Vidéographe consistait autant à essayer d’imaginer comment ces images avaient été diffusées et reçues, que de réfléchir à leur reprise éventuelle selon nos propres modes opératoires : des projections dans la ville, hors des salles, plus souvent furtives que spectaculaires.

Sans posture disciplinaire claire, nous revendiquions cette imposture qui saurait, nous l’espérions, nous autoriser (paradoxalement) à nous écarter de champs de connaissances présélectionnant pour nous les perles à voir. Nous avons également choisi dès le début d’écarter de notre corpus les œuvres de vidéastes connus, tels Robert Morin ou Pierre Falardeau, pour privilégier des vidéos peu documentées et plus souterraines. Nous n’avons pas suivi d’ordre chronologique dans notre visionnement, mais nous nous sommes limités aux années 1970, décennie vivement animée par cette utopie d’un « laboratoire de communication » pour nous arrêter avant le virage des années 1980, graduel mais certain, vers la vidéo comme médium artistique.

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Il restait à commencer, mais comment et par où, dans une collection si vaste et peu documentée de quelque 300 titres ? Par la base ! Si Sélectovision / Éditomètre / Entrée en scène et Sonographe, qui portent sur le fonctionnement général de Vidéographe et de son pendant sonore, ont été nos deux premiers visionnements, c’est bien Les occupations CHOM, CKJL qui a véritablement lancé et marqué notre parcours. Cette œuvre collective et anonyme enregistre, sur le mode direct, l’occupation d’une station de radio de Saint-Jérôme par des travailleurs en débrayage qui tentent de bloquer la diffusion de l’émission d’un commentateur défavorable à leur cause. En pleine grève générale de 1972, cette action constitue un enjeu stratégique fort. Caméra mobile et indisciplinée, emboitant le pas aux grévistes qui entrent par effraction dans la station de radio; entrevues spontanées avec des militants fiers et baveux; bande sonore hybride qui intègre à sa trame le son de l’émission réalisée par d’autres grévistes et diffusée sur les ondes occupées de CHOM FM avec « la police à la porte ». C’est tout un imaginaire de la lutte qui se trouve ici actualisé dans cette forme d’autoreprésentation où actions, paroles et idées sont connectées dans un geste à la fois politique et poétique : prendre les ondes consiste précisément à s’approprier le pouvoir de représentation. Cette bande incarne de façon très directe et pragmatique la nécessité d’une convergence du médiatique et du politique dans la conduite des luttes populaires. Les occupations CHOM, CKJL, exemple de guerilla television à la québécoise, est une démonstration éclatante de l’utopie à la fois sociale et technologique, aux ramifications politiques finalement assez larges, sur laquelle le projet de Vidéographe a été fondé.

Grèves, occupations, luttes populaires, états généraux ont donc été le fil d’Ariane de nos premières séances de visionnement. Cette première traversée a toutefois été beaucoup plus aride que prévu. Nous peinions à retrouver la forte nécessité qui animait Les occupations CHOM, CKJL à la portée si vive, libérée autant que libératrice, par la prise de contact avec des êtres mettant en actes des revendications populaires. Malgré la volonté souvent affirmée de « montrer des faits qui sont toujours noyés dans l’information officielle [...] avec nos petites caméras » (Commonwealth Plywood : la bataille s’enligne sur nous autres) et de donner la parole au « monde ordinaire », nous avions le sentiment que cette parole se trouvait plus souvent qu’autrement accaparée – ou du moins relayée – par des représentants syndicaux, des intellectuels, des politiciens, des artistes reconnus... ou encore sublimée dans la voix idéologique d’une communauté nationale surplombant celles des personnes devant la caméra.

Mais le monde ordinaire, bien qu’engoncé dans la formalité d’un dispositif qui, pensant bien faire, le saisit pour en faire saisir la réalité, déborde à son tour le cadre soit pour surgir en éclats fugaces, mutiques ou inaudibles – et c’est alors toute une puissance d’être qui apparaît (nous y reviendrons) –, soit pour l’occuper pleinement comme dans Vous savez ça, monsieur le ministre ?, une des rares vidéos retenues de nos premières séances de visionnement. Ce reportage direct sur une occupation de bureaux gouvernementaux fait ressentir, par sa caméra « infiltrée », jusqu’à la chaleur intenable des locaux et l’air saturé de la fumée des cigarettes grillées compulsivement. C’est qu’il problématise précisément la difficulté de communiquer lorsqu’on se trouve devant des interlocuteurs au capital politique et médiatique dominant. En face d’un ministre et de boss syndicaux, des corps d’ouvriers aux gestes et aux paroles à la fois peu assurés et emportés, animés qu’ils sont d’une exigence de vérité qui finit par déplacer les limites imposées aux enjeux à débattre.

Il reste que dans de nombreuses vidéos aux enjeux explicitement politiques que nous avons regardées, la parole se déploie par et pour le médium, se trouve complètement saisie par lui, en même temps qu’elle occupe, un peu raide et empesée, ces vidéogrammes au détriment de tout autre geste, dans un rapport d’exposition frontale. La médiation est strictement contrôlée : on parle dans le micro, on parle devant la caméra; on parle de l’usine, de l’école ou de la taverne. Loin d’un courant documentaire préconisant différents modes de relation à la caméra et allant jusqu’à revendiquer son effacement pour inscrire l’observateur au cœur des événements, c’est ici une approche plus objectifiante et sociologique qui se déploie en force. Le médium prend ses distances et interroge des personnes parce qu’elles appartiennent à une catégorie sociologique aux conditions spécifiques. Il s’agit moins de saisir une ambiance ou un milieu que de comprendre des enjeux liés aux conditions exposées. Le médium ne travaille pas la matière sensorielle propres à des formes de vie particulières (les sons ou la lumière d’un espace; les mouvements des corps par exemple), mais rend visibles des individus ou des groupes en tant qu’éléments sociaux habituellement peu ou pas représentés. Il reste que quelque chose de l’ordre des liens entre les êtres, de leurs affects s’en trouve quelque peu éteint.

L’expression « fabrique de clichés » nous est venue quand nous avons essayé de qualifier cette posture sociologisante qui nous déstabilisait. Nos fantasmes d’audace formelle – nourris d’artefacts culturels bien connus (façon cinétracts français), mais aussi de ce que nous savions des intentions et pratiques réellement audacieuses à la base de Vidéographe – nous plaçaient en porte-à-faux par rapport à des vidéos qui empruntaient d’autres chemins, avec une visée médiatique détachée de toute forme de postérité (et de posture) artistique. Mais cette expression « fabrique de clichés » ne rendait pas justice à ce qui, par ailleurs, continuait de résister à notre jugement à l’emporte-pièce. Et c’est à travers ce compagnonnage tâtonnant des images, parfois laborieux, que nous avons réajusté nos attentes et assumé de visionner des « documents » pour ainsi finalement voir ce qui en faisait le soin et la valeur. Mais gardons cela pour la fin.

Pour l’instant, nous n’étions sûrs de rien (et ne le serons jamais), d’autant plus qu’au fil des visionnements, de nouveaux types de vidéogrammes s’ajoutaient – fictions amateurs, émissions de télévision communautaire, débats filmés, reportages militants, captations de performances artistiques... Nous étions des missionnaires dépassés devant cet archipel éclaté, qui échappait à toute contextualisation (aucun indice sur la production ou la diffusion des vidéogrammes : quid du vidéothéâtre, des projections-débats, des vidéos interactives, du projet de chaîne de télévision communautaire hertzienne ?) et surtout à nos attentes. Dépassés au point de douter même de l’élan qui nous avait mis en route : en quoi consistaient réellement ces perles que nous cherchions, sinon un agrégat de nos propres désirs et biais, lesquels favorisaient inévitablement les œuvres de vidéastes professionnels en devenir sur les pochades de cégépiens, les documentaires sur les fictions, les vidéogrammes abordant des enjeux autochtones sur ceux à saveur plus nationaliste ? Tout l’arbitraire de notre travail de sélection nous est apparu, ainsi que le difficile rapport à une totalité qu’implique le geste de sélection, lequel impose d’extraire d’une collection des œuvres qui en seraient exemplaires pour ainsi lui donner une forme nous échappant. 

Pour faire face à l’épuisement, à la saturation qui nous gagnaient lors des visionnements collectifs, nous nous sommes mis à la recherche d’éclats : des passages poétiques qui bouleversent, même fugacement, le cadre de ces productions; des gestes insaisissables, échappant au régime de l’information. C’est la jeune adolescente de Y’a du dehors dedans, debout aux portes d’une taverne sur un trottoir poussiéreux de Montréal qui engouffre goulûment des bananes devant la caméra et convoque, durant ces quelques secondes, l’ingouvernable Mona de Sans toit ni loi. Des êtres qui crèvent l’écran par leur force intérieure, leur charisme ou leur lucidité. Nos séances de groupe étaient axées autour du partage de ces différents éclats, qui ouvraient sur autant de pistes, sur autant de lectures « en travers » des vidéogrammes. Cette nouvelle approche a porté ses fruits, nous faisant renouveler notre regard sur la collection et dépasser nos réticences premières. Après plusieurs semaines de visionnement intensif, nous avions réussi à parcourir l’entièreté du corpus et à établir une liste préliminaire d’une vingtaine de titres, qui constituaient une cosmogonie fragile, l’archipel de notre traversée dont nous avons consigné la géographie fluctuante et enregistré les traces sonores.   

Deux grandes constellations sont apparues, chacune regroupant autour de quelques nœuds plus ou moins reliés une partie des vidéogrammes retenus : médias, télévision, grand public, grèves, nation, d’un côté, et luttes mineures, (micro)communautés tissées par l’image, quotidien, intimité de l’autre. Deux pôles qui traduisent des oppositions presque dialectiques : entre la grande lutte, celle pour les travailleurs, les ondes ou la nation, et les luttes « mineures » et plurielles menées par les femmes, les locataires, les prisonnières, les élèves du secondaire, les chauffeurs de taxi; entre un désir de s’adresser aux masses, au Québec tout entier, et les velléités de représentation très locales.

Si ces oppositions demeurent très conceptuelles et ne se traduisent pas nécessairement dans la forme des images, elles nous ont permis d’identifier une tension à l’œuvre autour de la question de la communauté. Comment l’aborder, quelle distance établir, quel langage adopter, quel public viser... ? Autant de questions auxquelles chaque vidéogramme semble apporter une réponse particulière, jouant d’infinies variations sur les enjeux de représentation, inhérents à toute approche documentaire mais peut-être réactivés ici par le caractère visionnaire du Vidéographe. Son caractère horizontal – sa promesse d’abolir la distance entre producteurs, sujets et récepteurs des images – le rendait en effet particulièrement intéressant dans une perspective communautaire. Les communautés qui se sont saisi de Vidéographe, par leur désir d’autoreprésentation, ont su façonner de nouvelles formes de communication.

C’est donc sur cette base que nous avons poursuivi notre travail; lors de nos discussions, quelques titres revenaient souvent, et sont devenus les nœuds de notre lecture. Ça a par exemple été le cas de Temps guay, vidéogramme réalisé avec des femmes de la prison Tanguay sur leurs conditions de détention et leurs expériences, et qui commence d’ailleurs par une reconstitution, en mode docufiction, de l’arrivée d’une détenue. La voix portée par la caméra, celle qui rassemble les femmes autour de la table, celle qui nous parle à nous, qui pose des questions, se porte garante de l’authenticité d’une réalité observée de l’intérieur. On y parle de sentiments, du passé et du présent, on y bâtit à travers les témoignages de ces femmes des relations intimes avec l’audience, que certaines détenues interpellent directement. Un vidéogramme dans la lignée des productions de Société nouvelle/ Challenge for Change, où la vidéo sert d’outil de prise de parole et de médiation.

Très différent de Temps guay mais se situant lui aussi dans la veine du documentaire social, Roulis-roulottes nous a frappés en partie par son sujet un peu inusité (la lutte des résidants d’un parc de maisons mobiles pour faire reconnaître leurs droits auprès du propriétaire), mais surtout par son approche documentaire accordant beaucoup de place aux mots des résidants, à leurs histoires, à leur ressenti. Loin de ces nombreuses vidéos sur le droit au logement où l’analyse d’un militant ou d’un expert rencontré dans son bureau domine et comme organise tous les points de vue, la caméra se trouve ici sur les lieux, sur les pelouses rases des résidants ou dans leur cuisine; parfois aussi dans le bureau du propriétaire, dont les propos se trouvent presque toujours démentis au plan suivant par les résidants, qui ne perdent jamais leur ironie.

Nous avons retrouvé ce côté subversif et taquin dans La maudite école, qui s’intéresse à une autre communauté bien représentée dans notre corpus, celle des jeunes au sens large. C’est cette fois une polyvalente de Laval qui fait l’objet d’un reportage – mais un reportage réalisé de l’intérieur, par un élève ou ex-élève qui s’est saisi du médium vidéo comme moyen personnel d’investigation : « Là tu veux comprendre, t’as des instruments puis tu t’en sers; après ça tu pourras m’expliquer leur fonctionnement », comme lui dit un animateur de pastorale en entrevue. Ici, le point de vue est orienté, le micro inquisiteur, le ton frondeur, et c’est ce qui donne à ce vidéogramme toute sa force. La maudite école se retrouve d’ailleurs en quelque sorte prolongé par L’école aux mains des étudiants, qui documente, mais dans un tout autre registre, le cas de la polyvalente de Nicolet. La caméra est ici fixe et l’équipe de production invisible; le dispositif s’efface complètement pour laisser la parole au directeur Max Bauthier, qui raconte la mise en œuvre d’une autre utopie, scolaire cette fois. S’il y a eu un « cinéma de la parole » au Québec, il y a certainement aussi eu sa contrepartie vidéo.

De manière analogue, la parole est au cœur de Rodolphe Hamel, vidéo sur le syndicaliste du même nom, prophète d’un passé révolu mais dont les braises couvent encore. Malgré (ou peut-être grâce à) un dispositif ici aussi très dépouillé – une seule longue entrevue –, le salon se réchauffe rapidement, et la façon que le militant a de nous raconter les grèves de l’amiante qu’il a vécues en première ligne suffit pour les faire revivre; nul besoin ici d’images, de narration, d’objectivité. Ce que l’on entend est rare; Rodolphe Hamel sait nous transmettre le goût de la lutte.

Inuit today nous fait voyager non pas dans le temps mais dans l’espace. Les images du Grand Nord accompagnent la narration en inuktituk; le caméraman pose le regard, à travers de longs panoramiques circulaires, sur les espaces publics et privés de sa communauté, subtilement mis en scène. Les images semblent nous provenir de l’intérieur de la langue, que nous ne comprenons pourtant pas; elles traversent le temps, elles savent nous parler intimement. L’ambiance naît de cette relation de proximité construite par la voix et la vision du vidéaste. On le suit à la trace, il a le pouvoir de nous maintenir dans l’expectative sur le sens que donnait cette communauté inuit aux images qu’elle s’est elle-même façonnées, pour elle-même. 439 ans après J.-C., vidéogramme réalisé dans la réserve de Pikogan en Abitibi, procède de la même poésie, du même désir de documenter la vie commune. Les enjeux de communication sont cependant ici plus vifs, et les témoignages plus amers, alors que les résidants nous font part, dans un français où l’on sent toute la violence que son apprentissage a exigée, de leur expérience du système éducatif et de la cohabitation forcée. On voit aussi la colère qui affleure face à l’invisibilité dans laquelle sont maintenues ces communautés autochtones : « Ce n’est pas parler des Indiens qui est difficile, c’est de les écouter. »

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Cette lecture axée sur la communauté et ses moyens de représentation que nous proposons à l’issue de cette résidence n’est assurément pas la seule que permettait notre corpus. Archives plutôt que collection, la première décennie de production de Vidéographe n’est pas réductible à une chronologie, à quelques grandes tendances ou à une liste d’œuvres phares. Ce n’est pas d’un point de vue de chercheur ou d’expert que nous avons rendu ici les résultats de notre résidence, mais bien de celui, multiple et divergent, de praticiens ayant vécu ensemble cette expérience de visionnement exhaustif, déstabilisante mais transformatrice. Il reste que nous n’avons jamais perdu de vue l’importance de croire en l’image, d’essayer de la comprendre même dans ses apparitions lacunaires ou « décevantes ».

Le corpus que nous avons parcouru est travaillé par un souci commun qui a failli nous échapper : celui de rendre visibles des états de fait en interrogeant des groupes ou des individus constitués par et autour de ces états : habitants d’un village de maisons mobiles construit à la va-vite; familles dévastées par l’amiantose; femmes emprisonnées pour des délits dont la banalité masque le drame; grévistes pris dans le jeu légal et politique. Les images que nous avons rêvé de trouver sans jamais y parvenir nous empêchaient de voir ce qui se jouait au cœur de ces vidéogrammes, invisible parce que formulé dans des termes et des usages qui n’étaient pas les nôtres. Nous avons dû reconsidérer nos partis pris pour certaines formes, comprendre nos réactions devant des objets qui échappaient à nos attentes, et remettre en question notre position ou plutôt nos positions, puisqu’il n’y a jamais eu consensus même entre nous sur notre façon d’appréhender le corpus.

Pendant que nous cherchions des formes sans maîtres inventant un langage, la portée utopique de ces bandes nous passait sous le nez. Or, les débuts de la vidéo ont ceci de radical de mettre de l’avant un usage du médium solidement arrimé à l’idée de média de masse, avec toute la puissance agglomérante et la visée instrumentale que cela suppose. L’utopie en actes au Vidéographe a peut-être été celle d’investir la vidéo comme possibilité même de constituer une ou des communautés, en identifiant les coordonnées plus ou moins souveraines sur lesquelles, dès lors qu’il les rendait visibles, le médium permettait d’agir.

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lesemaphore.org

Images : Le Sémaphore, 2018.

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