Dans Cold Harbor, Donigan Cumming use d'un minimum de moyens pour générer un puissant message anti-guerre. Au premier abord, ce film vidéo semble énigmatique, presque abstrait. Une caméra amateur se déplace prudemment autour d'une chambre d'hôpital, zoomant et faisant des panoramiques de la fenêtre au lit, où est allongé un vieil homme à la peau sombre. L'image est tremblée, floue. Hors champ, une radio hurle les nouvelles. Sur la bande son, on entend également la voix de Cumming qui lit un extrait des mémoires d'un général : « J'ai toujours regretté l'assaut de Cold Harbor ». Même si l'on ignore que ce texte provient des Mémoires de la Guerre civile américaine de Ulysses S. Grant, le carnage qu'il évoque ne perd rien de son absurdité. À la description de l'issue dramatique de cette bataille historique répond bientôt le compte-rendu du présentateur radio sur un conflit plus récent et plus familier. Lorsqu'on l'entend prononcer les mots « Taliban », « Al-Qaida » ou la phrase « les bombardements américains ont tué... », la position critique de Cumming devient claire. Pendant ce temps, la caméra tourne autour du corps du vieil homme comme s'il s'agissait d'un objet, le scrutant de si près que sa peau semble soudain constituée de pixels. Est-ce un vétéran de guerre ? Est-il encore vivant ? En soulignant la fragilité du corps humain, Cumming nous rappelle que les ordres que donnent les généraux résonnent dans la chair des hommes.
Marcy Goldberg, Visions du réel, 2002
(traduction : Emmanuelle Maupetit)