Donigan Cumming se penche sur la violence du temps qui abîme les corps et épuise les mémoires. Dans le cas du personnage principal de Voix : off, Gerald, la maladie est irrémédiable. Deux cancers sont à l'œuvre, dont l'un s'est attaqué à sa gorge. Les premières images sont celles imparables d'un homme nu, rendu à sa grande vieillesse et à sa voix défaillante. La saisie au présent de la mort au travail est l'un des termes de ce film dense et complexe. Mais Cumming aime aussi à remonter le temps, à la recherche d'un état d'innocence. Dans son atelier, il étale les photographies de la vie de Gerald. Nouveau-né, petit garçon choyé par sa maman, élève en internat, adolescent charmant et adulte inquiet, ces états lui confèrent des postures, des regards différents, et révèlent aux yeux du vidéaste des malaises insoupçonnés. Parmi ces images, celle de Cumming lui-même rappelle à quel point il est un proche de la famille, en sa qualité de chroniqueur fidèle et insistant. Il porte sa caméra vidéo au poing, colle au corps et détaille les photos. Obsessionnellement, il cherche sa légitimité entre fascination aux accents morbides et réflexions aux ambitions métaphysiques. Iconoclaste et brutal dans sa quête précipitée, Voix : off est étrangement fraternel. Une scène, particulièrement, en témoigne. Gerald et un ami sont debout dans une modeste pièce. Le temps est suspendu. Rien ne se produit, leur attente paraît sans objet. Personnages beckettiens, ils sont livrés au destin absurde de l'humanité.
Jean Perret, Visions du réel, 2002